Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.
112
L’AMI COMMUN.

Il attisa le peu de charbon qui restait dans la grille, fit du feu, remonta la chandelle, la moucha, et en arrangea la mèche. La flamme du foyer venant à éclairer peu à peu les murailles graisseuses, les bébés hindou et africain, le bébé anglais, l’assortiment de crânes et le reste, apparurent successivement comme s’ils étaient sortis avec leur maître, et revenaient à l’heure dite pour assister à la conférence. Le gentilhomme français avait considérablement grandi depuis la dernière visite de Wegg ; il était maintenant pourvu d’une tête, d’une paire de jambes, et n’attendait plus que des bras. À qui cette tête avait-elle appartenu dans l’origine ? le littérateur s’en inquiétait fort peu ; mais il aurait souhaité qu’elle lui montrât moins les dents.

Mister Wegg alla s’asseoir en silence sur la caisse qui était devant la cheminée. Mister Vénus se laissa tomber sur sa petite chaise, fouilla parmi les nains qui l’entouraient, exhiba son plateau, ses deux tasses, et mit la bouilloire sur le feu. Le littérateur approuva ces préparatifs, espérant qu’ils émousseraient la pénétration de l’anatomiste.

« À présent que nous n’avons rien à craindre et que nous sommes installés, dit Vénus, voyons cette découverte. »

D’une main hésitante, et non sans jeter les yeux à diverses reprises sur les doigts qui étaient près de lui, comme s’il avait craint de les voir saisir le document, Silas ouvrit l’étui à chapeau, en ôta le coffret, tira de celui-ci un papier, dont il serra fortement l’un des bords, tandis que Vénus, s’emparant du coin opposé, lisait le contenu de la feuille avec attention.

« Vous ai-je dit exactement la chose ? demanda le littérateur.

— Exactement, » répondit Vénus.

Mister Wegg fit un mouvement plein d’aisance, comme pour replier le papier ; mais l’autre ne lâcha pas son coin. « Non, dit-il en secouant la tête et en clignant ses yeux fatigués, non monsieur ; il faut savoir à qui doit être confiée la garde de ce précieux document.

— À moi ! répondit Silas.

— C’est une erreur, dit Vénus ; veuillez y réfléchir. Tenez, mister Wegg, je ne désire pas avoir de querelle avec vous ; encore moins de nouveaux rapports anatomiques.

— Que voulez-vous dire ? s’écria Silas.

— Je veux dire, répondit lentement Vénus, que je me trouve ici sur mon propre terrain, entouré de mon art, et de mon outillage si parfait.

— Que voulez-vous dire ? répéta Silas.

— Je vous fais remarquer, reprit Vénus d’un air placide, que je suis au milieu de mes trésors d’anatomie ; ils sont nombreux ;