Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/112

Cette page a été validée par deux contributeurs.
109
L’AMI COMMUN.

Comme il se débattait avec violence, Vénus jugea opportun de le renverser et de tomber avec lui, sachant bien qu’une fois par terre il aurait de la peine à se relever. Au moment donc où le boueur doré sortait de la cour, les deux associés roulaient sur le carreau.


VII

FORTE POSITION DES DEUX AMIS


En entendant la porte se refermer sur mister Boffin, les deux lutteurs se lâchèrent, et se mirent sur leur séant, où ils restèrent vis-à-vis l’un de l’autre. Une défiance marquée, à l’égard de Wegg, une disposition à se jeter sur lui et à le terrasser de nouveau, s’il en donnait le moindre prétexte, se lisaient dans les yeux affaiblis de Vénus, et dans chaque brin de sa tignasse hérissée, tandis que la figure sèche et raboteuse de Wegg, l’attitude de son corps roide et anguleux, toute sa personne qui ressemblait à ces joujoux de bois venus d’Allemagne, exprimait un désir conciliant, plus politique que sincère. Tous les deux étaient rouges, essoufflés, chiffonnés, bouleversés par la lutte qu’ils venaient de soutenir ; et mister Wegg, dont le crâne avait produit un bruit sourd en tombant sur le carreau, se le frictionnait de l’air d’un homme qui vient d’éprouver un étonnement désagréable.

« Frère, dit-il enfin après un long silence, vous aviez raison, je le reconnais ; je me suis oublié. »

Vénus se passa la main dans les cheveux en pensant que mister Wegg s’était montré sous son véritable jour.

« Oui, reprit Silas, vous aviez raison ; mais vous n’avez pas connu miss Élisabeth, maître George, tante Jane et oncle Parker. »

Vénus admit qu’en effet il ne connaissait pas ces hauts personnages, et ajouta qu’il ne le regrettait pas le moins du monde.

« Ne dites pas cela, frère, riposta Silas, ne dites pas cela ; ne les ayant pas connus vous ne comprendrez jamais la frénésie qu’on éprouve à la vue de l’usurpateur. » Après avoir proféré ces mots comme s’ils témoignaient des sentiments les plus honorables, mister Wegg se traîna à l’aide de ses mains vers une chaise placée dans un coin de la chambre ; et là, se livrant à une gymnastique assez bizarre, il finit par se remettre debout.