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L’AMI COMMUN.

— Non, répondit Wegg ; il se refroidit.

— Ne vous semble-t-il pas, murmura Vénus, qu’il regarde si on n’a pas fouillé là dedans ?

— Chut ! répliqua Silas ; il se refroidit toujours ; le voilà qui gèle ! » Cette parole échappa à l’homme de lettres en voyant mister Boffin s’arrêter au pied du troisième monticule.

« Mais il monte ! dit Vénus.

— Avec sa bêche et sa lanterne, » ajouta Wegg.

D’un trot plus agile, comme si la bêche qu’il avait sur l’épaule eût stimulé ses forces en lui rappelant le passé, mister Boffin gravissait effectivement l’allée en colimaçon qui conduisait au belvédère. On se rappelle la description qu’il en avait faite à mister Wegg au début de la Chute de l’Empire romain. Les deux amis le suivaient en se baissant pour que leur ombre ne pût s’apercevoir quand la lumière allait reparaître. Vénus passa le premier afin de remorquer Silas, qui avait besoin d’aide pour retirer vivement sa jambe de bois des trous qu’elle se creusait. Mister Boffin s’arrêta pour souffler ; les deux amis s’en aperçurent bien juste, car ils ne voyaient guère ; mais enfin ils le virent, et s’arrêtèrent de même.

« Celui-là est à lui, murmura Wegg lorsqu’il eut repris haleine.

— Tous lui appartiennent, répondit Vénus.

— Il le croit, répliqua Silas ; mais c’est celui-là qu’il a possédé le premier ; celui que le bonhomme lui a légué d’abord.

— Quand il ouvrira sa lanterne, reprit Vénus dont les yeux ne quittaient pas la silhouette du boueur, il faudra nous baisser davantage, et aller un peu plus vite. »

Mister Boffin se remit en marche, ainsi que les deux complices. Arrivé au sommet, il découvrit à demi sa lanterne, et la posa par terre. Une perche, plantée dans les cendres depuis nombre d’années, inclinée par le vent, délabrée par la pluie, dominait le monticule ; c’était près d’elle que se trouvait la lanterne. Celle-ci en éclairait la partie inférieure, projetait sa clarté sur un petit coin de la surface, et envoyait dans l’air un rayon qui s’y perdait sans but.

« Il ne peut pas être venu pour déterrer cette perche, dit l’anatomiste en s’accroupissant.

— Elle est peut-être creuse, » répondit Wegg.

Toujours est-il que mister Boffin allait se mettre à l’ouvrage, car il retroussa le bas de ses manches, se cracha dans les mains, et prit lentement sa bêche en vieil ouvrier qu’il était. Il ne paraissait pas vouloir ôter le vieux mât ; il mesura seulement une longueur de bêche à partir de sa base, et enfonça l’outil à l’endroit où finissait la mesure. Son intention n’était pas non plus