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L’AMI COMMUN.

un testament qui assurait toutes ses terres aux enfants du plus jeune de ses fils. Il perdit la mémoire peu de temps après, et mourut bientôt, âgé de plus de quatre-vingts ans. Le fils aîné prétendit que son père avait détruit le testament en question ; et nul écrit n’ayant été trouvé, l’aîné des fils entra en possession des biens. Les choses demeurèrent ainsi pendant vingt et un ans ; toute la famille était persuadée que le père avait anéanti ses premières dispositions, lorsque la femme du fils aîné vint à mourir. Bien qu’âgé de soixante-dix-huit ans, le veuf prit bientôt une nouvelle épouse, dont la jeunesse inquiéta les enfants de la défunte. Ceux-ci ayant exprimé leurs sentiments avec une profonde amertume, le père déshérita son fils aîné, et, dans un moment de fureur, montra le testament à son second fils, qui résolut de s’en emparer et de le détruire, afin de conserver la fortune à son frère. Dans cette intention il brisa le tiroir où son père enfermait ses papiers, et n’y trouva pas le testament qu’il cherchait ; mais celui de son aïeul, testament que la famille avait oublié. »

« Là ! dit mister Boffin, voyez ce que les gens oublient après l’avoir serré ; ou bien ce qu’ils ont l’intention de détruire, et qu’ils n’en gardent pas moins. É… ton… nant, étonnant ! » ajouta-t-il à voix basse, et en examinant les murailles.

Les deux amis promenèrent également leurs yeux autour de la salle, puis mister Wegg arrêta les siens sur le boueur doré, qui alors contemplait le feu, et le regarda comme s’il avait voulu le saisir, et lui demander ses pensées ou la vie.

« Assez pour ce soir, dit mister Boffin après un instant de silence ; nous continuerons demain ; rangez les livres, mettez-les sur la planche, Wegg ; mister Vénus aura la bonté de vous aider. »

En disant ces mots, il fourra la main dans son pardessus, qui était boutonné sur sa poitrine, et s’efforça d’en tirer un objet sans doute trop volumineux pour sortir facilement. L’objet arriva enfin ; et quelle fut la surprise des deux compères en voyant apparaître une lanterne délabrée. Sans remarquer l’effet produit par ce petit instrument, le boueur doré le posa sur son genou, tira de sa poche une boîte d’allumettes, alluma tranquillement la bougie de sa lanterne, souffla ce qui restait de l’allumette, le jeta dans le feu, et dit ensuite : « Je vais faire une tournée dans la cour ; restez là, Wegg, je n’ai pas besoin de vous. Cette lanterne et moi, nous en avons fait des tournées ensemble, par centaines et par mille.

— Mais, monsieur, commença Wegg, d’un ton poli, je ne peux pas souffrir… »

Mister Boffin qui se dirigeait vers la porte, s’arrêta, et lui