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— Je ne comprends pas, Liz.

— Lève-toi, chéri ; fais ta toilette ; habille-toi d’abord, je te le dirai ensuite. »

Les manières calmes, la voix grave et bien timbrée de sa sœur, avaient toujours en sur lui une grande influence. Charley eut bientôt la tête dans un baquet plein d’eau : puis l’en ayant retirée, il regarda Lizzie à travers les coups de torchon dont il se bouchonnait.

« Jamais, dit-il en se frictionnant comme s’il eût été son plus cruel ennemi, jamais je n’ai vu de fille pareille à toi. Il y a quelque chose ; voyons, Liz, dis-moi ce que c’est.

— As-tu fini ?

— Oui, tu peux servir le thé. Mais n’est-ce pas un paquet ?

— Oui, frère.

— Ce n’est pas pour moi, je suppose ?

— Si, vraiment. »

Devenu sérieux, Charles termina sa toilette avec moins de brusquerie ; il alla se mettre à table, et attacha son regard sur la figure de sa sœur.

« Vois-tu, chéri, dit cette dernière, je me suis mis dans la tête que voici le moment où tu dois nous quitter. Outre le changement de résidence, qui est toujours une bonne chose, tu seras bien plus heureux. Avant un mois d’ici tu auras fait des progrès.

— Comment le sais-tu, Liz ?

— Je ne pourrais pas le dire ; mais j’en suis sûre. »

Bien que dans sa physionomie, sa voix, son attitude rien n’annonçât l’émotion qui l’agitait, elle osait à peine regarder son frère ; elle ne détournait pas les yeux du thé qu’elle mêlait, du pain dont elle faisait des tartines, du beurre qu’elle y étendait soigneusement.

« Oui, Charley, reprit-elle, il faut partir. Je resterai avec mon père ; nous deviendrons ce que nous pourrons ; mais il faut que tu t’en ailles.

— Tu n’y mets pas de cérémonie, grogna Charles, en repoussant sa tartine d’un air de mauvaise humeur. »

Lizzie garda le silence.

« Je vas te dire ce qui en est, moi, ajouta le gamin d’une voix plaintive où perçait la colère : tu es une égoïste, une sans cœur ; tu penses qu’il n’y a pas de quoi à la maison pour trois personnes, et tu veux que je m’en aille.

— Tu crois cela, Charley ? Eh bien ! oui, je le crois moi-même ; je suis sans cœur, et veux me débarrasser de toi. »

Elle avait dit ces paroles d’une voix calme et douce ; mais