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54 l’ami commun.  

Mister Wegg observa d’un œil admirateur que si la partie de la salle où s’épanouissait ce magnifique tapis avait pour décoration des ornements creux, tels que des fruits en cire et des oiseaux empaillés, protégés par des globes de verre, il y avait de l’autre côté du territoire des tablettes compensatrices, chargées de provisions, où s’apercevaient, entre autres choses solides, une moitié de pâté froid et la meilleure portion d’un superbe aloyau.

La salle était basse, mais néanmoins spacieuse ; et les cadres massifs des antiques fenêtres, l’épaisseur et la coupe des soliveaux annonçaient que la maison avait eu quelque importance à l’époque où elle se trouvait dans les champs.

« Tout cela vous plaît-il, Wegg ! demanda Boffin avec sa brusquerie ordinaire.

— Je l’admire énormément, répondit le littérateur ; un coin du feu spécialement confortable.

— En comprenez-vous la disposition, Wegg.

— Mais, oui ; l’ensemble…, commença lentement Silas d’un air capable, et la tête de côté, ainsi que débutent les réponses évasives.

— Vous ne comprenez pas du tout ; il faut que je vous explique, interrompit le bonhomme. Ces arrangements ont été faits par moi, d’accord avec missis Boffin ; elle raffole de tout ce qui est fashionable ; moi pas, quant à présent. Je m’en tiens au confort, et au confort dont je suis capable de jouir. Cela étant, à quoi bon nous disputer ? Il n’y a jamais eu un mot entre nous avant de posséder le Bower ; faut-il nous quereller parce que la maison nous appartient ? Conséquemment nous avons partagé la salle ; missis Boffin dispose de sa moitié comme elle l’entend ; j’arrange la mienne à ma guise. Il en résulte que nous avons à la fois le plaisir de la mode, du confort et de la bonne compagnie (je ne vivrais pas, sans missis Boffin). Si, peu à peu, je deviens fashionable, le tapis avancera dans la même mesure. Si plus tard missis Boffin a moins de goût pour la mode, le tapis reculera d’autant. Si nous conservons les mêmes idées, nous resterons comme nous sommes ; et embrassons-nous, la vieille ! »

Missis Boffin qui, toujours souriante, avait quitté sa région fleurie, et passé son bras dodu sous celui du bonhomme, accorda volontiers l’embrassade. La fashion, sous la forme du chapeau de velours, essaya de l’en empêcher ; mais elle succomba dans l’effort et fut écrasée à bon droit.

« Maintenant, Silas Wegg, reprit Boffin en s’essuyant la bouche d’un air satisfait, vous commencez à nous connaître. Quant au Bower, qui est un lieu charmant, vous l’apprécierez plus tard. C’est un de ces endroits, voyez-vous, dont les mérites se découvrent