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lèvres une main tremblante, ne vous mettez pas dans l’embarras.

— Écoutez-moi, cap’taine, écoutez-moi, dit l’honnête homme en se mettant de côté, je voudrais seulement vous rappeler vos belles paroles au sujet d’la récompense.

— Quand je la réclamerai vous en aurez votre part, » répondit l’inconnu, d’un ton qui ajoutait clairement cette apostrophe : chien que vous êtes ! Puis, le regardant avec calme, il dit à voix basse, et comme surpris de rencontrer un type aussi complet du mal : « Quel odieux scélérat vous faites ! » Il hocha la tête deux ou trois fois pour affirmer ce compliment, ouvrit la porte, se retourna vers Plaisante avec bienveillance, lui souhaita le bonsoir, et sortit de la boutique.

L’honnête homme resta plongé dans la stupeur jusqu’au moment où le verre sans pied et la bouteille de Xérès attirèrent son attention. Du regard, ils lui passèrent dans les mains, et le reste de la liqueur lui arriva dans l’estomac. L’opération terminée, il vit clairement que les jaseries de la perruche étaient la seule cause de ce qui s’était passé. Rappelé à ses devoirs paternels par cette considération, il jeta une paire de bottes fortes à Plaisante, qui se baissa pour éviter le coup, et se mit à pleurer, pauvre fille ! en se servant de ses cheveux en guise de mouchoir de poche.


XIII

SOLO ET DUO


Le vent soufflait tellement fort que l’inconnu en fut presque renversé, lorsque, sortant de chez Riderhood, il se trouva au milieu de l’obscurité et de la fange de Limehouse. Les portes claquaient violemment ; le gaz, balloté dans tous les sens, finissait par s’éteindre ; les enseignes s’agitaient dans leurs cadres ; et l’eau des ruisseaux, fouettée et dispersée, volait çà et là et retombait sous forme de pluie.

Indifférent à la tourmente, la préférant même à un temps moins mauvais parce qu’elle rendait les rues désertes, l’inconnu jeta autour de lui un regard investigateur. « C’est bien cela, autant que je puis le croire, murmura-t-il. Je n’étais jamais venu ici avant ce jour-là, et n’y suis pas revenu depuis lors. Jusqu’à présent j’ai bien retrouvé ma route ; mais quel chemin avons-