Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/330

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dre utile. Il prendrait feu, et sauterait avant la fin de l’opération.

— Vous en seriez débarrassée, répliqua Lizzie.

— J’en doute, reprit miss Wren ; il serait homme à ne pas vouloir partir seul, et à me faire sauter avec lui ; je connais ses allures.

— Le supposez-vous assez cruel pour vouloir vous faire souffrir ? demanda Lizzie.

— Ce ne serait peut-être pas avec intention ; mais j’aimerais autant qu’il y eût dans la chambre voisine un baril de poudre entouré d’allumettes flambantes. »

Il y eut un moment de silence.

« C’est un homme étrange, reprit Lizzie d’un air pensif.

— Je voudrais bien qu’il nous fût étranger ; » dit miss Wren.

Lizzie lui dénoua les cheveux pour les peigner et les brosser, comme elle faisait tous les soirs ; et l’opulente chevelure se répandit sur le pauvre petit corps qui avait grand besoin de ce magnifique manteau.

« Non, chérie, pas à présent, dit la petite habilleuse ; causons tranquillement au coin du feu. »

À son tour elle enleva ce qui retenait les cheveux noirs de son amie ; et la lourde masse, tombant de son propre poids, se divisa en se déroulant. Jenny, sous prétexte de comparer les deux nuances, et de jouir du contraste, fit deux ou trois passes avec ses doigts agiles, et appliqua sa joue sur l’une des mèches brunes qui ruisselaient auprès d’elle. En un instant elle parut voilée de ses cheveux blonds, tandis que le beau visage de Lizzie, complètement dégagé, recevait en plein la douce lumière de la flamme.

« Parlons un peu de mister Wrayburn, » dit la petite ouvrière.

Quelque chose scintilla parmi les cheveux blonds. Si ce n’était pas une étoile il fallait que ce fût un œil. En ce cas c’était l’œil de miss Wren, dont le regard était aussi brillant et aussi attentif que celui du petit oiseau dont elle avait pris le nom[1]

« Pourquoi parler de mister Wrayburn ? demanda Lizzie.

— Une idée à moi ; je voudrais savoir s’il est riche.

— Pas du tout.

— Il est pauvre ?

— Oui, pour un gentleman.

— Ah ! c’est vrai ; il est gentleman. Est-ce de la même espèce que nous ? » Elle secoua la tête d’un air pensif et répondit : oh ! non, non, non. »

Son bras entourait la taille de Lizzie ; elle écarta, en soufflant dessus, les cheveux qui lui couvraient le visage ; son œil moins voilé scintilla plus vivement, et parut plus attentif. « Celui qui

  1. Wren, roitelet.