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venir ici avec votre frère, et de vous consacrer mon expérience et mes faibles talents.

— Je vous remercie beaucoup, monsieur.

— Mais, poursuivit-il en essayant de tordre sa chaise d’une main furtive, et en regardant Lizzie d’un air sombre, tandis qu’elle avait les yeux baissés, j’ai peur que vous n’eussiez pas fait à mes humbles services un accueil favorable. »

Elle garda le silence, et le malheureux, la contemplant toujours, se débattit contre lui-même avec une angoisse indicible, il tira son mouchoir, s’essuya le front et les mains, puis faisant un effort : « Je n’ai plus qu’une chose à dire, reprit-il, mais c’est la plus importante. Il y a un motif qui s’élève contre… cela ; un motif personnel, que je ne peux pas vous expliquer maintenant, et qui pourrait, je ne dis pas qui devrait, vous faire changer d’avis. Continuer m’est impossible ; voudriez-vous comprendre qu’il doit y avoir une nouvelle entrevue à cet égard ?

— Avec Charley, monsieur ?

— Avec… Eh ! bien oui ; puisque vous désirez qu’il y soit. Il est nécessaire qu’une nouvelle entrevue ait lieu, dans des circonstances plus favorables ; alors je compléterai l’explication.

— Je ne comprends pas, monsieur, répliqua Lizzie en secouant la tête.

— Ne cherchez pas à comprendre, dit-il, si ce n’est que l’affaire doit vous être soumise une autre fois.

— Quelle affaire, monsieur ? Je n’ai rien de plus à dire, ni à entendre à cet égard.

— Vous… le saurez un autre jour. Puis il reprit avec désespoir : Tout cela est incomplet… et je ne peux pas ! — Je suis ensorcelé. Bonsoir, » murmura-t-il d’une voix qui demandait grâce ; et il lui tendit la main.

Au moment où, avec hésitation, pour ne pas dire avec répugnance, Lizzie lui effleura les doigts, il trembla des pieds jusqu’à la tête, et son visage d’une pâleur mortelle se crispa, comme sous l’influence d’une vive douleur. Elle se retourna ; mais il avait disparu.

Les yeux fixés sur la porte par laquelle il venait de sortir, la petite ouvrière resta dans la même attitude jusqu’à ce que Lizzie, ayant mis l’établi de côté, vînt s’asseoir auprès d’elle. Regardant alors son amie, comme elle avait regardé Bradley, miss Wren fit claquer rapidement ses mâchoires ainsi qu’il lui arrivait quelquefois ; puis elle s’allongea dans son petit fauteuil, et se croisant les bras : « Hum ! dit-elle, s’il est de cette nature-là, je parle de celui qui doit me faire la cour, — il peut se dispenser de venir. Il ne serait pas commode à faire trotter, et l’on ne pourrait guère le ren-