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Le coup de foudre est une expression assez répandue pour que l’on n’ignore pas que chez certaines natures où le feu couve sous la cendre, ainsi que chez l’homme qui nous occupe, la flamme éclate, se propage comme un incendie fouetté par le vent, et détruit ou domine toutes les autres passions. De même qu’il y a une foule de créatures faibles et imitatrices, toujours disposées à prendre feu pour la première idée fausse qui va être émise, — quelque tribut à payer à quelqu’un, par exemple, pour quelque chose qui n’a pas été fait, ou qui l’a été par un autre, — de même ces natures vigoureuses sont toutes prêtes à s’enflammer au premier choc.

Bradley Headstone poursuivait sa route en songeant, et d’après son visage tourmenté, on pouvait conclure qu’il essayait de soutenir une lutte dans laquelle il était vaincu. En se sentant dominé par sa passion pour la sœur d’Hexam, il éprouvait une sorte de honte mêlée de colère, bien qu’en même temps il concentrât tout ce qu’il avait de cœur et d’intelligence sur les moyens à prendre pour faire agréer son amour.

L’habilleuse de poupées était seule quand il parut devant elle. Oh ! pensa la pénétrante fillette, est-ce bien vous ? je sais qui vous êtes, mon ami ; je connais vos allures.

« La sœur d’Hexam, n’est pas encore de retour, dit Bradley.

— Vous êtes vraiment sorcier, répondit miss Wren.

— J’attendrai, si vous voulez bien le permettre ; car j’ai besoin de lui parler.

— Besoin de lui parler ! reprit la petite personne ; asseyez-vous, monsieur ; j’espère que ce besoin est réciproque. »

Bradley jeta un regard défiant sur la figure rusée qui se penchait de nouveau au-dessus de l’établi, et dit, en essayant de vaincre son trouble : « Vous ne supposez pas, j’imagine, que ma visite puisse déplaire à la sœur d’Hexam ?

— Encore ! s’écria miss Wren ; ne l’appelez donc pas comme cela ! vous me faites souffrir, dit-elle en exécutant avec ses doigts une volée de claquements pleins d’impatience ; appelez-la par son nom ; car je n’aime pas votre Hexam.

— Vraiment !

— Pas du tout, répondit-elle en fronçant le nez pour exprimer son aversion. Un égoïste ; il ne songe qu’à lui ; comme vous tous, d’ailleurs.

— Nous tous ? Je dois penser alors que vous ne m’aimez pas non plus.

— Heu ! heu ! fit-elle en haussant les épaules et en se mettant à rire ; je ne vous connais guère.