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La discrète Mary-Anne alla se rasseoir ; elle reprit son ouvrage, se mit à coudre, à coudre ; et cousait avec ardeur quand l’ombre du chef d’institution annonça que celui-ci était sur le point de paraître. « Bonsoir, miss Peecher, dit Bradley en poursuivant son ombre, et en la remplaçant.

— Bonsoir, mister Headstone. Mary-Anne, donnez une chaise.

— Merci, dit Bradley, en s’asseyant avec sa raideur habituelle. Ceci n’est pas une visite ; je suis entré en passant pour vous demander un petit service, en qualité de voisin.

— En passant ? demanda-t-elle.

— Oui, miss ; je vais faire une assez longue course. »

(Rue de l’Église, Smith-square, près de Mill-Bank), pensa miss Peecher.

« Hexam est sorti pour aller chercher quelques livres dont il a besoin, continua Bradley ; il rentrera probablement avant moi ; j’ai pris la liberté de lui dire que je mettrais la clé ici ; voulez-vous me permettre de vous la laisser ?

— Certainement, mister Headstone. Vous allez donc faire une longue promenade ?

— Ce n’est pas pour me promener ; c’est plutôt… pour affaire. »

(Rue de l’Église, Smith-square), repensa la pauvre miss.

« Je regrette d’être obligé de partir aussi vite, dit Bradley en posant la clé sur la table. Vous n’avez pas de commission dont je puisse me charger ?

— Merci, mister Headstone ; de quel côté allez-vous ?

— Du côté de Westminster.

— Mill-Bank ! se dit-elle encore. Merci ; je ne veux pas vous donner cette peine, monsieur.

— Vous ne m’en donneriez pas si c’était sur ma route. »

Ah ! pensa la pauvre Miss, je ne vous en donne pas ; mais vous m’en faites, vous ! Et malgré le calme de ses manières et de son sourire, ce fut avec une vive douleur qu’elle le vit s’éloigner.

Miss Peecher avait raison ; c’était bien rue de l’Église que se rendait mister Headstone. Il se dirigeait vers la demeure de l’habilleuse de poupées en ligne aussi droite que la sagesse de ses ancêtres, manifestée par la construction des rues qu’il avait à suivre, pouvait le lui permettre ; et il marchait la tête basse, préoccupé d’une idée fixe. Il n’en avait pas d’autre depuis le moment où il avait vu Lizzie pour la première fois. Il lui semblait que cette idée avait supprimé chez lui tout ce qui pouvait l’être ; qu’elle avait réduit au silence tout ce qui n’était pas elle ; et qu’en un instant l’empire qu’il avait sur lui-même s’était complètement évanoui.