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toujours moi qui fais le bien. Mais ce sujet-là paraît vous attrister, cher monsieur.

— Vous croyez, madame ?

— Je crois le comprendre. Êtes-vous d’une nombreuse famille ? Il secoua la tête d’une manière négative. « J’avais une sœur ; elle est morte, dit-il.

— Avez-vous encore votre père et votre mère ?

— Non, madame.

— Et vos autres parents ?

— Je ne sais même pas si j’en ai jamais eu. »

À ce point du dialogue, miss Wilfer entra sans qu’on l’entendît, voyant qu’elle n’était pas remarquée, elle s’arrêta, ne sachant pas si elle devait rester ou partir.

« C’est peut-être une indiscrétion, reprit missis Boffin ; mais n’attachez pas d’importance aux paroles d’une vieille femme, et dites-moi : Êtes-vous bien sûr de n’avoir pas eu de chagrins d’amour ?

— Très-sûr, madame ; pourquoi me demandez-vous cela ?

— Parce que je vous trouve quelquefois un air contraint qui n’est pas de votre âge. Vous n’avez pas encore trente ans ?

— Non, madame. »

Jugeant qu’il devenait indispensable d’annoncer sa présence, Bella se mit à tousser pour attirer l’attention ; elle s’excusa en disant qu’elle allait partir, et qu’elle l’eût déjà fait si elle n’avait pas craint de les interrompre.

« Ne vous éloignez pas, répondit missis Boffin ; nous avons à parler d’une affaire qui vous intéressera. Mais j’ai besoin de Noddy ; seriez-vous assez bon l’un ou l’autre pour aller me le chercher. »

Rokesmith s’acquitta de la commission, et revint bientôt accompagné de Boffin, qui arrivait en trottinant. De quelle affaire s’agissait-il ? Bella se le demandait, et en fut vaguement troublée jusqu’à ce que missis Boffin eût expliqué l’objet de la réunion.

« Asseyez-vous près de moi, chère belle, dit l’excellente femme, en s’installant sur une large ottomane qui occupait le milieu du salon, et en passant son bras sous celui de la jeune fille. Toi, Noddy, viens te mettre en face de nous ; vous, mister Rokesmith, asseyez-vous là. Maintenant, voilà ce que c’est : j’ai reçu de missis Milvey la lettre la plus aimable ; mister Rokesmith a eu la bonté de me la lire, car je ne suis pas forte pour débrouiller l’écriture. C’est pour me proposer un autre orphelin que m’écrit missis Milvey, et cela m’a fait réfléchir.

— Une vraie machine à idées, murmura Noddy avec admiration. Pas très-facile à mettre en mouvement ; mais une fois partie, c’est comme une mécanique.