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— Oui, ma chère, je vous en donne ma parole ; d’ailleurs vous pourrez le voir, Betty. Si ma maison avait été plus confortable, j’aurais pris chez moi le pauvre trésor ; mais il n’y serait pas bien.

— Emmenez-le où vous voudrez, chère dame, répliqua la grand’mère en baisant la main de missis Boffin. Je ne suis pas tellement endurcie que vos paroles et votre figure ne puissent m’inspirer toute confiance, et je croirai en vous, tant que je pourrai voir et entendre. »

Il fallait se hâter ; Rokesmith pensait avec douleur qu’un temps précieux avait déjà été perdu. Il envoya Salop chercher la voiture, fit envelopper l’enfant, dit à la grand’mère de mettre son chapeau, rassembla les joujoux, expliqua au malade que ces trésors devaient l’accompagner, et fit si bien que tous les préparatifs étaient achevés quand parut la calèche. Une minute après, ils étaient en route, laissant derrière eux le pauvre Salop, qui soulagea son cœur oppressé par un fougueux tournement de sa manivelle.

L’arche de Noé, l’oiseau jaune, l’officier des gardes et le magnifique cheval ne furent pas moins bien accueillis à l’hospice des enfants que leur petit propriétaire ; mais le docteur dit à Rokesmith : « Il y a plusieurs jours que vous auriez dû l’amener ; il est trop tard maintenant. »

On les conduisit néanmoins dans une pièce aérée, où le pauvre Johnny revint à lui-même, soit qu’il se réveillât, soit qu’il sortît d’un évanouissement. Il se trouvait alors dans un bon petit lit, surmonté d’une tablette suspendue à portée de sa main, où étaient rangés l’arche de Noé, l’oiseau jaune et le cheval ; le tout surveillé par le brillant officier des gardes, à la satisfaction non moins grande de sa patrie que s’il eût paradé pour elle.

Une belle image coloriée, placée au chevet de la petite couchette, représentait un pauvre petit malade sur les genoux d’un ange qui devait aimer les enfants. Johnny, chose merveilleuse, était devenu tout à coup membre de la petite famille. Comme lui, tous les autres étaient dans de petits lits bien blancs ; excepté deux d’entre eux qui, assis dans de petits fauteuils, à côté de la cheminée, faisaient une partie de dominos. Tous les malades avaient leur tablette où se voyaient des maisons de poupée, des chiens laineux, pourvus d’un aboiement pareil à la voix de l’oiseau jaune ; des saltimbanques vêtus d’habits mauresques, des ménages de bois, des soldats de plomb, bref tous les trésors de la terre.

Voyant que, dans son admiration placide, Johnny murmurait quelque chose, la garde qui était près de lui s’inclina pour