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Chargés de ces merveilles, ils entrèrent chez missis Higden ; la vieille femme était dans le coin le plus sombre et le plus reculé de la chambre ; elle avait Johnny sur ses genoux.

« Comment va mon cher enfant, Betty ? demanda missis Boffin, en s’asseyant près de la grand’mère.

— Mal, très-mal, répondit missis Higden ; je commence à craindre qu’il ne soit pas plus à vous qu’à moi. Tous ceux qui lui appartiennent sont là-haut ; j’ai dans l’idée qu’ils l’attirent auprès d’eux, et qu’ils ne vont pas tarder à nous le prendre.

— Non, non, dit missis Boffin.

— Sans cela aurait-il sa petite main fermée comme s’il tenait le doigt d’une personne ? Regardez plutôt, » dit la vieille femme en écartant la couverture qui enveloppait l’enfant, et en montrant sa petite main droite qu’il tenait crispée sur sa poitrine. « C’est toujours comme cela, continua Betty ; je ne peux pas m’expliquer pourquoi.

— Pensez-vous qu’il dorme ? demanda missis Boffin.

— Je ne crois pas. Dors-tu, mon Johnny ?

— Non, répondit l’enfant d’un air de douce pitié pour lui-même, et sans ouvrir les yeux.

— C’est la dame, Johnny. Elle apporte le cheval. »

Johnny avait entendu nommer la dame avec la plus complète indifférence ; mais pour le cheval ce fut autre chose ; il ouvrit les yeux, finit par sourire en contemplant ce joujou phénoménal, et voulut le prendre dans ses bras. Mais ce superbe coursier était beaucoup trop grand, et fut posé sur une chaise, où le bambin put le tenir par la crinière, ce dont il se lassa bientôt.

Il avait refermé les yeux ; et missis Boffin n’entendant pas ce qu’il murmurait, la grand’mère approcha l’oreille de ses lèvres, en lui demandant ce qu’il avait dit. Il le répéta deux ou trois fois, et l’on comprit que tout en regardant son cheval il avait aperçu autre chose. Il demandait « le nom de la jolie dame ? » Bella fut d’autant plus touchée de cette question, qu’elle lui rappelait les paroles de son père, et cette soirée de la veille dont elle était encore émue. Ce fut donc par un mouvement plein de naturel qu’elle s’agenouilla devant le cher petit. Elle le serra dans ses bras, et le pauvre bébé lui rendit ses caresses en la regardant avec cette admiration naïve que la beauté inspire à l’enfance.

Missis Boffin, pensant que l’occasion était favorable, posa la main sur le bras de la grand’mère, et de sa voix la plus affectueuse : « Nous sommes venus, lui dit-elle, pour emmener ce cher enfant ; nous le mettrons dans un endroit où il sera mieux soigné qu’ici. Vous comprenez… »