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espèces, de l’argenterie, ou des bijoux, il est évident que cela nous appartiendra. »

Vénus se frotte le sourcil d’un air dubitatif.

« Rien de plus juste, reprend Silas ; car autrement ces objets, restant ignorés, seraient vendus avec les ordures qui les renferment, et l’acquéreur se trouverait en possession d’une chose qu’il n’aurait pas achetée, ce qui blesserait la morale.

— Supposons que ce soit des papiers ? dit l’homme aux squelettes.

— D’après leur contenu, répond vivement le littérateur, nous les offririons à ceux qu’ils pourraient concerner.

— Par amour pour la morale, mister Wegg ?

— Toujours, mister Vénus. Si après cela les personnes à qui nous les aurions cédés en faisaient mauvais usage, ce serait leur affaire. J’ai sur vous, monsieur, une opinion qu’il n’est pas facile d’exprimer. Depuis le soir où je vous ai vu noyant dans le thé votre esprit si vaste, j’ai senti que vous aviez besoin d’être stimulé par un intérêt puissant ; or, vous trouverez dans la proposition que je vous fais, un but assez glorieux pour réveiller votre énergie. »

Le littérateur expose le projet qui l’occupe, et s’étend sur les qualités que le monteur de squelettes apporterait dans cette recherche : une patience à toute épreuve, l’habitude d’un travail délicat, le talent de réunir de petites parcelles et d’en composer un tout, la connaissance des divers tissus, les vagues indications qu’il a déjà, et qui peuvent amener les découvertes les plus importantes.

« Moi au contraire, ajoute Silas, je ne conviens nullement à ce genre d’opération. Que je veuille sonder ou creuser, j’ai la main trop lourde pour le faire sans qu’il en reste des traces. Avec vous, mister Vénus, ce serait bien différent. »

Silas fait en outre observer, d’un air modeste, qu’une jambe de bois n’est pas apte à monter aux échelles, ni à siéger sur un perchoir quelconque ; puis, lorsqu’il s’agit de le promener sur une colline poudreuse, ce membre fictif a l’inconvénient d’enfoncer profondément, et de cheviller son propriétaire à l’endroit où il se pose. Mister Wegg rappelle ensuite cette particularité phénoménale, que c’est de la bouche de Vénus qu’il a entendu parler pour la première fois de cette croyance populaire aux trésors cachés dans des tas d’ordures ; croyance, qui certainement, n’existe pas sans cause. Enfin, revenant à la morale, dont l’intérêt lui est cher, il pressent la découverte de quelque objet qui pourrait accuser mister Boffin ; car il faut bien l’admettre, on ne peut pas le nier, c’est lui qui a profité du meurtre. Il prévoit