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démentir, affecte des airs mélancoliques en songeant au passé, comme si la maison et lui avaient déchu du rang qu’ils occupaient.

« Oui, monsieur, dit-il à Boffin en hochant la tête d’un air triste et rêveur, c’était là notre maison. L’hôtel patrimonial d’où j’ai vu tant de fois sortir, et où j’ai vu tant de fois rentrer miss Élisabeth, maître Georges, tante Jane, oncle Parker, ces illustres personnages (dont il a inventé le nom) ! Faut-il donc qu’elle en soit arrivée là ! Bonté divine ! »

Il y a tant de douleur dans ses lamentations, que l’excellent Noddy prend une part réelle à son chagrin, et se demande si, en achetant cette maison, il n’a pas fait à ce pauvre ami un tort irréparable.

Deux ou trois entrevues diplomatiques où il a déployé la plus grande finesse, tout en disant avec indifférence que c’était le hasard qui l’amenait à Clerkenwell, ont permis à Silas de conclure son marché avec mister Vénus.

« Rapportez-moi au Bower samedi soir, a dit mister Wegg après cette conclusion ; et si une goutte de Jamaïque peut vous plaire, je ne suis pas homme à vous le reprocher ; nous passerons la soirée ensemble.

— Vous savez, monsieur, a répondu l’autre, que je suis d’une triste compagnie ; néanmoins il sera fait selon votre désir. »

C’est pour cela que le samedi soir mister Vénus sonne à la porte du Bower. La porte ouverte, mister Wegg aperçoit sous le bras de l’arrivant une espèce de bâton, enveloppé de papier brun, et fait cette remarque d’un ton sec : « Je pensais que vous auriez pris un cab.

— Non, monsieur, répond Vénus ; porter un paquet n’est pas au-dessus de moi.

— Certes, réplique Silas, qui ne témoigne pas entièrement son déplaisir ; mais certains paquets sont au-dessus d’un pareil transport.

— Voici votre emplette, mister Wegg, dit poliment Vénus en lui tendant le paquet ; je suis heureux de la rapporter à la source d’où elle émane. »

Silas Wegg le remercie. « Maintenant ajoute-t-il, que c’est une affaire faite, je peux vous dire, en ami, que si j’avais consulté un avocat, il est possible que vous eussiez été contraint de me rendre ça purement et simplement. C’est un point de droit que je vous soumets.

— Y pensez-vous, mister Wegg ? c’est un achat loyal, après marché débattu.

— On ne peut pas trafiquer de chair humaine dans ce pays,