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on n’a pas de leçons gratis ; l’idée nous en vient tout de suite : qu’est-ce qui paye ? Nous faisons des recherches, et nous découvrons que c’est mister Wrayburn. De quel droit paye-t-il pour ma sœur ? Voilà ce que je lui demande. Quelles sont ses intentions ? Est-ce qu’il devait prendre cette liberté sans mon consentement ? Quand je m’élève dans l’échelle sociale par mes propres efforts et les bontés de mister Headstone, il est bien juste qu’on ne nuise pas à mon avenir et à ma respectabilité en déshonorant ma sœur. »

Faiblesse de forme, égoïsme du fond, ce discours était pitoyable. Mais habitué au cercle restreint d’une classe, et aux idées mesquines, Bradley se montra fier de l’éloquence de son élève.

« Que mister Wrayburn le sache bien, continua Hexam, qui désespérant d’attirer l’attention d’Eugène s’adressait à Mortimer, je m’oppose formellement à ce qu’il aille chez ma sœur. Il ne faut pas pour cela qu’il se figure qu’elle s’intéresse à lui ; ce n’est pas à craindre. » — Il se mit à ricaner ; Bradley en fit autant. Eugène souffla sur son cigare pour en détacher la cendre. — « Mais je ne veux pas qu’il la voie, cela suffit. Elle tient plus à moi qu’à lui. Je lui ferai une position quand j’aurai fait la mienne ; elle le sait bien et n’ignore pas de qui dépend son avenir. Mister Headstone l’a compris tout comme elle. C’est une bonne fille ; mais elle a des idées romanesques ; non pas au sujet de mister Wrayburn, mais au sujet de la mort de mon père, et il l’encourage dans ses idées pour se faire valoir. Elle s’imagine qu’elle lui doit de la reconnaissance ; elle n’en est peut-être pas fâchée, mais moi cela ne me va pas ; c’est à mister Headstone et à moi seulement qu’elle doit être reconnaissante. Et je le dis à mister Wrayburn, si elle ne m’écoute pas, tant pis pour elle ; qu’il se mette cela dans la tête. »

Il y eut un instant de silence pendant lequel Bradley parut très-gauche et très-embarrassé.

« Maître de pension, dit Eugène, en examinant son cigare qu’il avait retiré de sa bouche, ne pensez-vous pas qu’il serait temps d’emmener votre élève ?

— Mister Lightwood, reprit Charley, le visage enflammé par cette dernière insulte, j’espère que vous tiendrez note exacte de mes paroles, quand même votre ami dirait le contraire. Vous y êtes forcé, mister Lightwood ; car, je le répète, c’est vous qui lui avez fait connaître ma sœur, et Dieu sait qu’on n’avait pas plus besoin de lui qu’on ne le regrettera quand on ne le verra plus. Maintenant que j’ai dit tout ce que j’avais à dire, et que mister Wrayburn a été obligé de l’entendre, nous n’avons plus rien à faire ici.