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— Non, monsieur.

— Vous ne vendez rien ?

— Non, monsieur. »

Miss Wren lui jeta un regard de côté, et, posant sa main sur le bras de son amie, elle attira la jeune fille, qui s’agenouilla près d’elle, « C’est pour nous un grand bonheur de venir ici, dit la petite habilleuse ; nous en sommes bien reconnaissantes ; un endroit si paisible ! Vous ne savez pas ce que le repos est pour nous. N’est-ce pas, ma Lizzie, qu’on y est bien ? Tant de calme et tant d’air !

— Du calme ! répéta Fledgeby en tournant la tête d’une façon méprisante vers le bruit de la Cité. Et un air… Pouah ! fit-il en regardant les cheminées fumeuses.

— Puis c’est si haut, continua miss Wren ; on voit courir les nuages au-dessus des rues étroites, sans s’inquiéter de ce qui s’y passe. On voit les flèches d’or se dresser vers les montagnes qui sont dans le ciel, d’où les vents descendent, et l’on éprouve la même chose que si on était morte. » La pauvre créature leva les yeux et tendit ses petites mains transparentes vers les nuages.

« Que peut-on éprouver quand on est mort ? demanda Fledgeby avec embarras.

— Oh ! répliqua Jenny en souriant, on est si tranquille, si reconnaissante de la paix qui vous entoure ! Vous entendez crier les vivants qui travaillent, qui s’appellent les uns les autres, au fond des rues noires où l’on étouffe ; et vous avez tant pitié d’eux ! Vous êtes délivrée d’une chaîne si lourde ! vous sentez un bonheur si étrange, à la fois doux et triste, mais si grand ! »

Ses yeux tombèrent sur le vieillard, qui, les mains jointes, la regardait d’un air recueilli.

« Tout à l’heure, poursuivit-elle en le désignant, j’ai cru le voir sortir de la tombe. Il avait l’air si fatigué en se courbant pour passer sous la porte ! Puis il a repris haleine ; il s’est redressé, il a regardé le ciel, le vent a soufflé sur sa tête, et l’existence qu’il mène en bas a été finie. Puis on l’a fait rentrer dans l’ombre. C’est vous, dit-elle en jetant à Fledgeby un de ses regards incisifs. Pourquoi l’avez-vous fait redescendre ?

— Il y a mis le temps, murmura le maître.

— Mais vous n’êtes pas mort, vous, dit-elle ; allez vivre en bas. »

L’idée parut bonne à Fledgeby ; il salua de la tête, se retourna et repassa sous la porte. Comme le vieillard le suivait, la petite ouvrière cria de sa voix argentine au vieux juif : « Ne restez pas longtemps ; revenez vite, et soyez mort. »

Tout en descendant, ils entendaient la petite voix mélodieuse