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24 l’ami commun.  

c’est après. Le sommelier du navire sur lequel ce gentleman a fait la traversée, est venu voir le défunt, et l’a parfaitement reconnu ; il est prêt à répondre de l’identité du corps et de celle des vêtements. D’ailleurs on a les papiers. Comment ce jeune homme a-t-il disparu en quittant le navire pour ne se retrouver que dans la Tamise ? Obscurité complète. Probablement quelque aventure qu’il a poursuivie, la croyant sans danger, et qui lui a été fatale. Au reste l’enquête aura lieu demain, et la vérité se découvrira, cela ne fait pas le moindre doute.

« Il paraît, continue l’inspecteur à voix basse, et en examinant l’étranger, il parait que tout cela impressionne beaucoup votre ami. La vue du corps lui a cassé bras et jambes. »

Mortimer répond que l’étranger n’est pas son ami, qu’il ne le connaît même pas.

« Vraiment ? dit l’inspecteur en approchant une oreille attentive ; et où l’avez-vous rencontré ? »

Les deux coudes sur son pupitre, les cinq doigts de la main droite appuyés aux cinq doigts de la main gauche, M. l’inspecteur, qui a pris cette pose pour faire son résumé, et qui l’a conservée en écoulant Mortimer, dirige son regard vers l’inconnu, et dit à haute voix, sans même remuer la tête :

« Est-ce que vous vous trouvez mal, monsieur ? Vous ne semblez pas habituée ce genre d’opération.

— Oh ! non, répond l’étranger, qui, la tête basse, est adossé à la cheminée et jette les yeux autour de lui ; oh ! non ! Quel horrible spectacle !

— Vous veniez cependant pour examiner le corps ?

— Oui, monsieur.

— L’avez-vous reconnu ?

— Non, monsieur. Épouvantable chose ! horrible à voir !

— Qui pensiez-vous que ce pouvait être ? Décrivez-nous celui que vous cherchez, il est possible qu’on vous aide à le découvrir.

— Non, non, dit l’étranger ; c’est inutile. Bonsoir. »

M. l’inspecteur n’a fait aucun mouvement, n’a pas dit une parole ; néanmoins le satellite a glissé devant la porte ; il est adossé au guichet, son bras gauche y est allongé, et de la main droite il dirige sa lanterne vers l’inconnu.

« Cependant, vous cherchez quelqu’un, reprend l’inspecteur ; autrement vous ne seriez point ici. N’est-il pas naturel de vous demander quelques détails sur cet ami ou cet ennemi, afin de vous seconder dans vos recherches ?

— Veuillez m’excuser, monsieur, vous savez mieux que personne qu’il y a, dans les familles, de ces malheurs dont on