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avec lequel il s’avançait, prenant sur le trottoir deux fois plus de place qu’un autre, ce quelque chose frappa vivement l’élève. Quand passa le gentleman il l’examina avec intention, et s’arrêta pour le suivre du regard.

« Quel est ce monsieur ? demanda Bradley.

— Mais, répondit Charles en fronçant le sourcil d’un air préoccupé, c’est ce Wrayburn ! »

Le maître observait son élève non moins attentivement que celui-ci examinait le gentleman.

« Que vient-il faire de ce côté ? Pardon, monsieur ; mais j’en suis tout surpris. »

Bien que l’écolier se fût remis en marche, et qu’il semblât revenu de sa surprise, Bradley n’en remarqua pas moins qu’il retournait la tête, et que son visage reprenait l’air soucieux et intrigué qu’il avait eu d’abord.

« Vous ne paraissez pas aimer ce gentleman, dit Bradley.

— Je ne l’aime pas du tout, répondit Charles.

— Qu’a-t-il pu vous faire ?

— La première fois que je l’ai vu il m’a pris le menton de la manière la plus insolente.

— À propos de quoi ?

— Parce qu’en parlant de ma sœur, j’avais dit un mot qui lui déplaisait.

— Il la connaît donc ?

— Il ne la connaissait pas alors, répondit l’écolier toujours pensif.

— Et maintenant ? »

Charles était si absorbé qu’il ne songea pas à répondre, et que Bradley dut répéter sa question.

« Oui, monsieur, dit-il enfin.

— Je suis sûr qu’il va la voir, reprit le maître.

— Impossible, dit vivement Charley ; il ne la connaît pas assez pour cela. Je voudrais bien l’y prendre ! »

Ils hâtèrent le pas, et marchèrent quelque temps en silence ; puis le maître dit à l’élève, en lui serrant le bras au-dessus de coude :

« Vous alliez me parler de ce gentleman ; comment avez-vous dit qu’il se nommait ?

— Eugène Wrayburn, répondit Charles ; un avocat sans cause. La première fois qu’il a vu ma sœur, c’était du vivant de mon père, dans notre ancienne maison. Il venait pour affaire ; non pas une affaire à lui, car il n’en a jamais eu ; c’est un de ses amis qui l’avait amené.

— Et plus tard ?