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gnes dès le berceau, en supposant qu’elle en ait eu un, s’est faite elle-même ce qu’elle est aujourd’hui.

— Cela ne me dit pas pourquoi tu es liée avec elle.

— Tu ne le vois pas, Charley ! »

L’écolier détourna la tête d’un air maussade. Ils étaient alors à Millbank, et avaient la Tamise à leur gauche ; sa sœur lui toucha l’épaule, et lui montra la rivière.

« Expiation, restitution, peu importe le mot, tu sais ce que je veux dire, reprit-elle ; c’est là aussi que notre père est mort, Charley. »

Pas une parole attendrie, pas un signe d’émotion ! Puis tout à coup, après un morne silence, et d’une voix mauvaise :

« Quand je fais tant d’efforts pour arriver, dit-il, ce serait bien dur, Liz, de te trouver sur ma route comme un obstacle.

— Moi, Charley !

— Oui, toi, Lizzie. Pourquoi revenir sur le passé ? Il faut rompre avec tout cela, comme le disait ce soir mister Headstone, à propos d’autre chose. Nous n’avons qu’un parti à prendre ; suivre une direction nouvelle, et marcher droit au but.

— Sans regarder en arrière, Charley ? pas même pour essayer de réparer le mal ?

— Tu rêveras donc toujours ! reprit l’écolier avec impatience. C’était bon autrefois, quand assis devant le feu, nous interrogions le vide qui était auprès de la flamme. Mais à présent, c’est le monde réel qu’il faut voir.

— Ah ! Charley, c’était bien la réalité que je découvrais alors.

— Non, Lizzie, tu es dans l’erreur ; je ne veux pas t’abandonner ; au contraire, je veux t’élever avec moi ; je n’oublie pas ce que tu as fait ; ce soir encore, je disais à M. Headstone : « c’est ma sœur qui l’a voulu. Eh ! bien, ne m’empêche pas de réussir ; ne me force pas à reculer, à redescendre ; je n’en demande pas davantage ; assurément ce n’est pas trop exiger. »

Sa sœur, qui, tout en l’écoutant, n’avait pas cessé de le regarder, lui répondit avec calme :

« Ce n’est pas par égoïsme que j’ai choisi cette maison, Charley ; si je n’écoutais que mon désir j’irais bien loin de la rivière.

« Jamais trop loin à mon avis, il faut t’en séparer, Liz ; pourquoi rester près d’elle, quand je m’en éloigne ? tu sais à quelle distance je veux m’en tenir.

— Si je reste dans son voisinage, dit-elle en se passant la main sur le front, c’est bien involontaire ; mais je ne crois pas devoir la quitter.

— Te voilà encore dans tes rêves, Liz ! À qui la faute si tu es près de la Tamise ? Qui a choisi cette maison où tu es avec un