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Un léger mouvement de Lizzie, qui agita la main comme pour faire taire l’habilleuse de poupées, fut remarqué de Bradley Headstone. L’habilleuse, à son tour, saisit la remarque de celui-ci ; elle se fit une jumelle de ses deux mains, la tourna vers l’observateur, et hochant la tête avec finesse :

« Ah ! ah ! s’écria-t-elle, je vous y prends, vous l’espionnez ! »

L’incident pouvait n’avoir aucune suite ; mais Bradley observa que la jeune fille, qui avait gardé son chapeau, proposa immédiatement d’aller faire un tour de square, et le fit avec un peu de hâte, comme pour échapper aux indiscrétions de la petite ouvrière. Le maître et l’élève souhaitèrent donc le bonsoir à l’habilleuse de poupées, qui, après leur départ, s’étendit dans son fauteuil, et croisant les bras, se mit à chanter d’une voix douce et rêveuse.

« Vous avez à causer, dit Bradley ; je vous laisse ; je vais flâner près de la rivière. »

Tandis que sa personne guindée s’éloignait à travers la brume, l’élève dit à sa sœur avec une certaine violence :

« Quand donc, Lizzie, demeureras-tu dans une maison décente ? Je croyais que tu l’aurais fait plus tôt.

— Je suis très-bien où je suis, Charley.

— Très-bien où tu es ! je suis honteux d’y avoir amené mister Headstone. Et cette petite sorcière, comment as-tu fait sa connaissance ?

— Par hasard, du moins je l’ai cru d’abord, mais il doit y avoir autre chose ; car cette enfant… Tu te rappelles les affiches qui étaient à la maison ?

— Que le diable les brûle ! Je veux les oublier, non m’en souvenir ; tu devrais en faire autant. Pourquoi me demandes-tu cela ?

— Parce que cette enfant est la petite fille du vieil ivrogne.

— Quel ivrogne ?

— Tu sais bien : l’homme au bonnet de nuit et aux chaussons de lisière.

— Comment as-tu fait pour le savoir ? Tu es une singulière fille ! dit Charley en en grattant le nez d’une manière qui exprimait à la fois sa vexation de ce qu’il entendait, et sa curiosité d’en apprendre davantage.

— Le père de la pauvre enfant est employé dans la maison où je travaille, répondit la sœur ; voilà comment je l’ai su. Un malheureux, comme était le grand-père : tremblant de tous ses membres, ne se tenant pas, toujours ivre ; et cependant bon ouvrier dans sa partie. La mère est morte ; et cette pauvre enfant, chère petite créature ! si souffrante, si infirme, entourée d’ivro-