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que nul effort ne parvint à dissimuler, se répandit sur la figure de Bella. « Le hasard nous ayant réunis sous le même toit, et devant encore nous rapprocher dans l’avenir, continua le secrétaire, je me suis permis de vous dire ces quelques mots. J’ose espérer qu’ils ne vous déplaisent pas, ajouta-t-il avec déférence.

— Je n’ai aucune opinion là-dessus, répondit la jeune fille. L’idée que ces mots expriment est pour moi complètement neuve, et peut très-bien n’avoir de fondement que dans votre cerveau, mister Rokesmith.

— Vous le verrez plus tard, miss. »

Ils étaient alors en face de leur maison. Mistress Wilfer, qui regardait par la fenêtre, apercevant sa fille en conférence avec son locataire, serra immédiatement sa fanchon, et sortit, comme par hasard, pour faire un tour de promenade.

« J’apprenais à miss Wilfer, dit Rokesmith à cette lady majestueuse, que depuis quelque temps je suis l’homme d’affaires de mister Boffin.

— N’ayant pas l’honneur de connaître intimement ce gentleman, répondit la dame en agitant ses gants, avec sa dignité chronique, il ne m’appartient pas de le féliciter de l’acquisition qu’il a faite.

— Pauvre acquisition, répondit Rokesmith.

— Pardonnez-moi, répliqua mistress Wilfer ; mister Boffin peut avoir un mérite distingué, plus distingué que ne le ferait supposer la physionomie de sa femme ; mais ce serait pousser l’humilité jusqu’à la démence, que de le juger digne d’un aide plus éclairé.

— Vous êtes bien bonne, madame. Je disais aussi à miss Wilfer qu’elle est attendue prochainement dans sa nouvelle demeure.

— Ayant consenti d’une manière tacite, répondit la dame en haussant les épaules, et en agitant ses gants, à ce que ma fille acceptât les offres de mistress Boffin, je n’y mets aucun obstacle.

— Pas de sottises, s’il vous plaît, Ma, dit la belle miss.

— Taisez-vous, ma fille.

— Non, Ma ; je ne souffrirai pas de pareilles absurdités ; y mettre obstacle !

— Je dis, répéta mistress Wilfer avec une dignité croissante, que je n’y apporte aucun obstacle. Puisque mistress Boffin, dont la physionomie ferait trembler tout disciple de Lavater, demande à orner sa nouvelle habitation des charmes de l’une de mes filles, je veux bien y consentir. Qu’elle soit donc favorisée de la compagnie de mon enfant.

— Vous venez, madame, répondit Rokesmith en lançant un regard à la jeune fille, d’émettre, au sujet de miss Wilfer, une opinion que j’exprimais tout à l’heure.

— Pardonnez-moi, reprit l’auguste dame avec une effrayante