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autres par des bras vivement tendus. Cependant la description des merveilleux joujoux qu’on trouvait chez missis Boffin humanisa ce bébé positif jusqu’à lui faire regarder la dame d’un air d’abord assez maussade, le poing dans la bouche et les sourcils froncés ; puis enfin à s’épanouir peu à peu, et à rire aux éclats lorsqu’il fut question d’un superbe cheval monté sur des roulettes, et qu’un galop miraculeux menait tout droit chez le pâtissier. Saisi par les minders, le rire de Johnny s’enfla en un joyeux trio, qui produisit une hilarité générale.

Missis Boffin, enchantée de sa démarche, se leva toute radieuse ; et Salop, qui n’était pas moins satisfait, se chargea de trouver une meilleure route, pour la reconduire aux Troies-Pies, où il fut regardé avec un mépris souverain par la tête de marteau.

Après avoir ramené chez elle missis Boffin, le secrétaire se rendit à la nouvelle maison, où diverses occupations l’attendaient. Le soir venu, il se dirigea vers sa demeure, et prit, pour y arriver, un chemin qui traversait les champs. Était-ce par hasard, ou avec l’intention de rencontrer miss Wilfer ? Nous n’en pouvons rien dire ; mais il est certain que la jolie miss avait coutume de se promener à pareille heure dans les champs en question, et qu’elle y était ce soir-là, suivant son habitude.

Miss Bella, qui n’était plus en deuil, portait les nuances les plus fraîches, et leur était parfaitement assortie ; impossible de ne pas le reconnaître. Elle lisait tout en se promenant, et il est probable qu’elle ne s’aperçut pas de l’approche de Rokesmith ; du moins elle n’eut pas l’air de s’en douter. «  Ah ! c’est vous, dit-elle en levant les yeux, lorsqu’il ne fut plus qu’à deux pas.

— Oui, miss, ce n’est que moi. Une belle soirée !

— Vrai ? dit la jolie personne en jetant un regard froid sur la plaine. Je veux bien le croire, puisque vous le dites ; je n’y avais pas fait attention.

— Absorbée par la lecture ?

— Ou-ou-i, répondit Bella d’une voix traînante.

— Une histoire d’amour, miss Wilfer ?

— Oh ! ciel, non ; si cela était, je ne le lirais pas.

— De quoi parle ce livre ?

— Plus d’argent que d’autre chose.

— Et dit-il que l’argent soit ce qu’il y a de meilleur au monde ?

— Je ne sais pas trop ce qu’il dit ; vous pourrez le voir vous-même, car je n’en ai plus besoin. »

Rokesmith prit le volume dont elle se servait comme d’un éventail, et marcha à côté d’elle. «  On m’a donné, dit-il, une commission pour vous, miss Wilfer.

— Pas possible ! traîna la jolie miss.