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voyant pleurer sa maîtresse, renversa la tête, ouvrit la bouche, éleva la voix et se mit à beugler. Cet indice alarmant d’un malheur quelconque n’eut pas plus tôt fait jeter les hauts cris à Toddles et à Poddles que Johnny, se renversant tout à coup et frappant missis Boffin de ses souliers boueux, fut en proie au plus violent désespoir. Le ridicule de la situation en détruisit le côté émouvant ; missis Higden essuya ses larmes, et rétablit l’ordre avec tant de promptitude que Salop resta court au milieu d’un beuglement polysyllabique ; puis, se jetant sur la calandre, il s’infligea plusieurs tours de manivelle avant qu’on pût l’arrêter.

« Allons, dit missis Boffin, qui n’était pas loin de se croire la plus cruelle des femmes, allons, rien n’est fait ; n’ayez pas peur. Nous sommes tous bons amis, n’est-ce pas, missis Higden ?

— Oh ! oui, madame, voilà qui est sûr.

— Rien ne presse d’ailleurs, continua missis Boffin, prenez le temps d’y penser.

— Ne vous inquiétez pas, madame ; j’y pensais depuis hier et j’étais bien décidée. Je ne sais pas ce qui m’a pris ; mais cela n’arrivera plus, soyez tranquille.

— Alors ce sera pour le petit John ; il faut qu’il s’accoutume ; vous-même vous vous y habituerez en songeant que c’est pour son bien. » Missis Higden en convint gaiement.

« Seigneur ! cria missis Boffin d’un air radieux, nous ne voulons attrister personne ; au contraire, il faut que tout le monde soit content. Vous me ferez savoir quand vous serez décidée ; en attendant, vous me donnerez des nouvelles.

— Oui, madame ; j’enverrai Salop.

— Ce gentleman que voilà, répondit missis Boffin, le payera pour sa peine. Et soyez sûr, mister Salop, que vous ne sortirez pas de la maison sans avoir fait un bon repas, soyez-en sûr : de la viande, des légumes, de la bière et du poudding. »

Cette assurance acheva d’égayer les affaires, car le sympathique Salop, faisant une large grimace, rugit un éclat de rire ; les deux bambins l’imitèrent, et le petit John l’emporta sur eux tous. Toddles et Poddles, trouvant l’occasion favorable pour tenter une nouvelle attaque sur Johnny, se reprirent par la main et retraversèrent le pays raviné. Puis le combat ayant eu lieu derrière missis Higden, avec un grand courage de part et d’autre, les deux pirates regagnèrent leurs escabeaux.

« Et pour vous, missis Higden, que puis-je faire ? demanda Missis Boffin.

— Je vous remercie, bonne madame mais je n’ai besoin de rien ; je peux travailler, les forces ne me manquent pas ; je fais encore