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montré le plus grand désir de plaire à l’excellente créature, et sachant combien elle tenait à ce projet, il s’y dévouait avec activité et persévérance. Mister Milvey et sa charmante femme avaient éprouvé des difficultés sans nombre ; l’enfant qui aurait pu convenir était presque toujours une fille ; ou bien il était trop jeune, ou trop âgé, ou trop faible, ou trop sale, ou trop accoutumé à vivre dans la rue et trop enclin au vagabondage ; ou bien encore il aurait fallu l’acheter. Dès que l’on croyait avoir son affaire, il surgissait quelque parent affectueux qui mettait à prix la tête du marmot. Rien, dans les variations les plus folles de la bourse, ne peut être comparé à la hausse que subit immédiatement l’orphelin sur la place. Cinq mille pour cent au dessus du cours le bébé faisant à neuf heures du matin une galette avec de la boue du ruisseau ; une fois demandé, cinq mille pour cent de bénéfice avec prime avant midi. Le marché est de plus en plus actif, des valeurs frauduleuses sont émises ; des pères et mères se font passer pour morts et présentent eux-mêmes leurs bambins. L’orphelin pur est retiré subrepticement ; des émissaires sont apostés à l’entrée des allées et des cours ; aussitôt qu’ils annoncent mister ou missis Milvey, l’orphelin est caché ; on le refuse ; pas de courtier à moins d’un gallon de bière.

Les détenteurs d’orphelins se retirent, et se précipitent par douzaines ; il en résulte des fluctuations dignes de la mer du Sud ; mais, au fond de toutes ces péripéties, le principe de vente reste immuable, et ne saurait être accepté par mister Milvey.

À la fin, le révérend Frank apprend qu’il se trouve à Brentford un charmant bébé.

Le père du marmot, l’un de ses paroissiens, décédé il y a quelques mois, avait une grand’mère dans cette agréable ville. Missis Higden, l’aïeule en question, a pris l’enfant, qu’elle soigne avec tendresse, mais qu’elle n’a pas le moyen de nourrir. Le secrétaire propose à missis Boffin de se rendre à Brentford, où il examinera l’orphelin, ses tenants et ses aboutissants, ou bien il la conduira sur les lieux, pour qu’elle puisse elle-même juger de l’état des choses. Missis Boffin, ayant préféré cette dernière offre, partit donc un matin dans un phaëton de louage, conduit par Rokesmith, et emportant derrière eux le jeune homme à tête de marteau.

La demeure de missis Higden n’était pas facile à trouver dans la ville fangeuse de Brentford. Elle se cachait, au fond d’un tel labyrinthe d’arrière-bâtiments, que nos voyageurs durent laisser leur équipage à l’enseigne des Trois-Pics.

Après maintes questions pressantes de leur part, maintes réponses négatives de celle des autres, on leur indiqua enfin, au