Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/186

Cette page a été validée par deux contributeurs.

afin de dissiper les nuages qui pouvaient rester dans l’esprit de missis Boffin. « Eh bien ! ma chère, reprit l’excellent homme en rentrant pour souper, tu vois que ce n’était rien ; un peu de distraction, voilà ce qu’il te fallait. Te voilà calmée, n’est-ce pas ?

— Oui, chéri, dit missis Boffin en ôtant son châle ; me voilà bien ; je ne sens plus mes nerfs ; j’irais partout comme d’habitude. Mais…

— Encore ? s’écria le mari.

— Je n’ai qu’à fermer les yeux…

— Eh bien ! qu’est-ce qui arrive ?

— Eh bien ! reprit-elle les yeux fermés et en se touchant le front d’un air pensif, ils sont là ; je les vois toujours : le patron qui rajeunit, les enfants qui vieillissent ; ensuite un étranger, et puis tous à la fois. »

Elle rouvrit les paupières, vit son mari en face d’elle, de l’autre côté de la table, se pencha pour le taper sur la joue, et déclara, en s’asseyant, qu’il n’y avait pas au monde de meilleure figure que celle-là.


XVI

ENFANTS À GARDER ET CHOSES À REGARDER


Le secrétaire du boueur doré s’était mis à l’œuvre immédiatement, et déjà les affaires se ressentaient de sa vigilance. Pas de travaux qu’il ne toisât lui-même, pas de fournitures qu’il n’eût examinées, d’explications ou de renseignements qu’il ne vérifiât avant d’y croire. Bref, il apportait à sa besogne une ardeur et un soin non moins rares que la promptitude avec laquelle il l’expédiait.

Une chose toutefois, dans sa conduite, aurait pu éveiller les soupçons d’un homme moins inexpérimenté que Noddy Boffin. D’une réserve, d’une discrétion excessives, Rokesmith avait cependant voulu connaître jusqu’aux moindres détails des affaires du boueur, et la manière dont il les possédait prouvait qu’évidemment il avait pris connaissance du testament d’Harmon. Que Boffin eût à le consulter ou à l’éclairer à cet égard, il savait toujours de quoi il s’agissait, comprenait tout d’avance, prévenait les objections, et montrait que de ce côté-là on n’avait rien à lui