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À cette époque, Noddy Boffin s’intéressait particulièrement à la fortune d’un grand capitaine qu’il appelait Bully-Saurius, et qu’il est plus facile de reconnaître sous le nom moins britannique de Belisarius. Mais l’intérêt que lui imposait la carrière de ce général, pâlissait, pour Boffin, devant le besoin qu’il avait d’acquitter sa conscience à l’égard de Wegg. Il en résulta qu’au moment où celui-ci, après avoir bu et mangé de manière à en être écarlate, prit son livre et prononça la phrase sacramentelle : « Arrivons maintenant à la décadence, » mister Boffin l’arrêta tout court.

« Wegg, lui demanda-t-il, vous rappelez-vous la première fois où je vous ai dit que j’avais une proposition à vous faire ?

— Une minute ; le temps de consulter mon bonnet, répondit Wegg, en retournant son livre sur la table. La première fois que vous m’avez dit… j’ai une proposition… Permettez que je réfléchisse (comme s’il en avait eu besoin). Oui, certainement ; oui, je me rappelle. J’étais à ma boutique ; vous m’avez demandé si votre nom me plaisait ; et la franchise m’a obligé de vous dire que non. J’étais loin de penser alors qu’il me deviendrait si familier.

— J’espère vous familiariser avec lui de plus en plus, mon cher Wegg.

— Vraiment ? mister Boffin ; je vous en serai très-obligé. Commençons-nous la décadence ? (Il feignit de vouloir prendre le livre.)

— Un petit moment, Wegg ; j’ai à vous faire une nouvelle proposition. » Le littérateur, qui ne pensait pas à autre chose, ôta ses lunettes avec un air de profonde surprise.

« Et j’espère que cela vous conviendra.

— Je le souhaite également, répondit l’autre d’un air froid et réservé.

— Si on vous parlait de fermer boutique ? voyons ; qu’en diriez-vous ?

— Je demanderais d’abord à voir le gentleman qui voudrait me dédommager d’un pareil sacrifice.

— Il est ici, Wegg, sous vos yeux. »

— Mon bienfaiteur ! » allait s’écrier mister Wegg ; et déjà il en avait proféré la moitié, quand un revirement d’une haute éloquence s’opéra dans ses paroles.

« Non, mister Boffin, non, dit-il. J’accepterais de n’importe qui ; mais jamais de votre part. Ne craignez pas, mister Boffin, que je souille de ma présence les lieux que votre or vous a permis d’acquérir par mon entremise. Je n’ignore pas, monsieur, qu’il serait indécent de continuer mon petit commerce sous les fenê-