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Un pas indécis traverse le vestibule ; quelqu’un frappe à la porte. Le chimiste va voir ce que c’est ; il confère aigrement avec le frappeur invisible, paraît ému de la réponse qui lui est faite, et quitte la salle.

« Bref, continue Mortimer, on a fini par découvrir sa résidence ; et il revient après quatorze ans d’exil. »

Un des tampons surprend tout à coup les trois autres en se détachant du groupe ; il désire savoir pourquoi cet homme revient ?

« Merci de me l’avoir rappelé, poursuit Mortimer ; j’oubliais de dire que le père est mort. »

Enhardi par le même succès, le même tampon demande à quelle époque.

« L’autre jour ; il y a dix mois, peut-être un an.

— Et de quelle maladie ? s’écrie le tampon, d’un air dégagé. »

Mais, triste exemple du courage malheureux, ses trois pareils le regardent bouche béante, et personne ne lui répond.

Mortimer, se rappelant alors qu’il existe un Vénéering, s’adresse à lui pour la première fois :

« Le père est mort, redit-il.

— Mort ! » répète d’un air grave le Vénéering satisfait. Il croise les bras, se compose un visage pour écouter d’une façon juridique les détails qu’on va lui offrir, et se voit replongé dans une froide solitude. Mortimer a saisi l’œil vagabond de M. Podsnap, et dit au gros homme :

« On a trouvé un testament, daté d’une époque ancienne, peu de temps après le départ du fils. Une chaîne de tas d’ordures et une espèce de maison située au pied de ces collines, sont léguées à un ancien domestique, exécuteur testamentaire. Le reste, qui est fort considérable, est laissé au fils. Il y avait ensuite les volontés du défunt relativement aux funérailles ; des cérémonies excentriques, certaines précautions à prendre pour ne pas l’enterrer vif, des choses insignifiantes, si ce n’est que… »

L’histoire s’arrête. Le chimiste est de retour ; chacun le regarde ; non pas qu’on ait besoin de le voir, mais en vertu de cette influence qui pousse les hommes à saisir l’occasion de regarder n’importe quoi plutôt que celui qui leur parle.

« Si ce n’est que le fils, reprend Mortimer, n’est héritier qu’à la condition d’épouser une jeune fille qui, aujourd’hui bonne à marier, avait quatre ou cinq ans à l’époque où cette clause fut écrite. Des recherches, des annonces, ont fait découvrir ce fils dans le petit fermier du Cap ; et à l’heure qu’il est notre homme arrive en Angleterre, fort étonné probablement d’hériter d’une pareille fortune, et d’avoir à prendre femme.