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— Oh ! j’ai peur que vous ne me trouviez bien sotte ; je ne suis pas comme Ma ; elle cause, elle ! »

Rien de plus facile à voir ; Ma cause au petit galop, crinière au vent, tête encapuchonnée, paupières et narines très-ouvertes.

« Peut-être aimez-vous la lecture ? demande Sophronia.

— Oui… c’est-à-dire… oh ! oui ; mais je ne lis pas beaucoup.

— Faites-vous un peu de m… m… m… m… musique ? (Mistress Lammle est tellement insinuante qu’elle y met une demi douzaine d’m avant de glisser le mot à son amie.)

— Oh ! je n’oserais jamais ; et puis je ne sais pas. Mais Ma joue du piano. »

En effet, toujours au petit galop, et avec un certain air de faire quelque chose, Ma exécute à l’occasion une caracolade brillante sur ledit instrument.

« Vous aimez la danse, cela va sans dire.

— Oh ! non ; je ne l’aime pas du tout.

— Comment ! à votre âge ! et charmante comme vous êtes ! vous m’étonnez, chère belle.

— Je ne peux pas dire, répond miss Podsnap avec énormément d’hésitation, et en jetant des regards timides sur le visage soigneusement composé de mistress Lammle, je ne peux pas dire que je ne l’aurais pas aimée — si j’avais été… Vous ne le direz jamais, n’est-ce pas ?

— Jamais, chère, jamais !

— Oui, j’en suis sûre, vous ne le direz pas. Eh bien ! j’aimerais peut-être danser le 1er mai, si j’étais ramoneur[1].

— Miséricorde ! s’écrie Sophronia au comble de la surprise.

— Là ! je le savais bien que cela vous étonnerait ; mais vous ne le direz pas ? vous me l’avez promis.

— Je vous jure, mon amour, qu’à présent que nous avons causé ensemble, vous me faites désirer dix fois plus de vous connaître davantage. Que je voudrais que nous fussions réellement amies ! Voulez-vous de moi pour amie sincère ? Allons ! essayez. Je ne suis pas une de ces vieilles femmes moqueuses, chère belle ; je ne suis mariée que depuis quelques jours ; vous voyez, j’ai ma toilette de noce. Et que voulez-vous dire avec ces ramoneurs ?

— Chut ! Ma entendrait.

— Impossible ; elle est trop loin.

— En êtes-vous bien sûre ? demande tout bas la pauvre enfant. Ce que je veux dire c’est qu’ils ont l’air de beaucoup aimer la danse.

  1. Premier mai, fête des ramoneurs, caractérisée par des mascarades, des jeux et des danses. (Note du traducteur.)