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Où verra-t-on jamais des êtres plus aimables et aussi bien assortis que mister et mistress Lammle ? Il est étincelant ; Elle est toute grâce et toute satisfaction. De temps à autre ils échangent des regards d’intelligence ; mais rapides et sérieux comme feraient des joueurs qui auraient engagé la partie contre toute l’Angleterre.

Il y a très-peu de jeunesse parmi les baigneurs ; rien n’est jeune dans la Podsnaperie, excepté la jeune personne.

Des baigneurs chauves entourent mister Podsnap, qui est debout, le dos au feu, et lui parlent les bras croisés. Des baigneurs, à favoris luisants, profèrent quelques paroles devant mistress Podsnap, et s’éloignent le chapeau à la main. Des baigneurs curieux errent çà et là, et regardent au fond des coffrets et des vases, comme s’ils devaient y retrouver l’objet qu’ils ont perdu, et que les Podsnap auraient pu leur voler. Des baigneurs du sexe plus aimable, sont assis autour du salon, et se livrent à l’examen comparatif et silencieux des bras et des épaules d’ivoire.

Pendant ce temps-là, comme toujours, la petite miss Podsnap, dont les chétifs efforts, si elle en a jamais faits, sont éclipsés par la splendeur des allures maternelles, se tient le plus qu’elle peut hors de la vue et de la pensée des autres, et semble faire le compte des ennuis de la journée.

Un article secret des hautes convenances de la Podsnaperie exige qu’il ne soit pas question du motif de la fête. Chacun se tait donc, et ferme les yeux sur la nativité de cette jeune fille, comme si tout le monde reconnaissait qu’il eût été préférable que cette jeune personne ne fût pas née.

Les Lammle ont tant d’affection pour ces chers Vénéering qu’ils ne peuvent pas se détacher de ces excellents amis. À la fin cependant, un sourire plein de franchise de mister Lammle, peut-être le haussement mystérieux de l’un de ses sourcils gingembre, paraît dire à mistress Lammle : « Mais pourquoi ne jouez-vous pas ? »

Sophronia jette un regard autour d’elle, aperçoit miss Podsnap, et semble demander s’il faut qu’elle joue cette carte. Elle reçoit probablement une réponse affirmative, car elle va s’asseoir auprès de la jeune personne.

Mistress Lammle est ravie de se trouver dans ce petit coin, où elles pourront causer toutes les deux tranquillement. La conversation promet en effet d’être paisible, car la jeune miss répond avec inquiétude :

« Oh ! c’est bien bon à vous ; mais je ne sais pas causer, moi !

— Commençons toujours, dit mistress Lammle, avec le plus charmant sourire.