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gence. In England, Angleterre, nous aspirons le hetch, et nous disons horse ; il n’y a que dans nos classes inférieures que l’on prononce orse.

— Mille pardons, monsieur ; je me trompe toujours, dit le Français,

— Notre langue, reprend mister Podsnap avec la conscience d’avoir toujours raison, notre langue est difficile ; c’est une langue très-riche, et que les étrangers ont beaucoup de peine à saisir. Je ne poursuis pas ma question. »

Le gentleman à lunettes, regrettant de la voir abandonner, pousse follement un nouvel esqué ? et s’arrête sans éveiller d’écho.

« Elle avait simplement trait à notre Constitution, explique mister Podsnap, qui a conscience de faire un acte méritoire en possédant cette chose inestimable. Nous autres Anglais, poursuit-il, nous sommes très-fiers de notre Constitution : c’est un don de la Providence. Aucun pays, monsieur, n’est favorisé du ciel autant que ce pays-ci.

— Et les autres, dit l’étranger, comment font-ils ?

— Monsieur, répond mister Podsnap en hochant la tête d’un air grave, ils font… je regrette d’avoir à le dire, monsieur, ils font comme ils peuvent.

— La Providence a des faveurs restreintes, dit l’étranger en souriant, car les frontières ne sont pas étendues.

— Sans doute, réplique Mister Podsnap ; mais cela n’en est pas moins vrai : c’est la charte de la Terre. Cette île, monsieur, a été bénie à l’exclusion absolue de toutes les contrées du globe, quelque nombreuses qu’elles soient. Et si nous n’étions ici que des Anglais, ajoute l’orateur en promenant son regard sur ses compatriotes, et en développant sa thèse d’une voix solennelle, je dirais que l’Englishman offre un assemblage de vertus, une modestie, une indépendance, un calme, une solvabilité, joints à l’absence de tout ce qui peut amener la rougeur sur le front d’une jeune personne, bref, une réunion de vertus qu’on chercherait en vain parmi les autres peuples. »

Ayant terminé ce petit speech, mister Podsnap, dont le visage s’enflamme à la vague pensée qu’un citoyen à préjugé, d’un pays quelconque, oserait peut-être apporter à ses paroles une légère restriction, mister Podsnap exécute son geste favori, et met à néant le reste de l’Europe, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique. L’auditoire est fort ému de ce trait d’éloquence, et mister Podsnap, qui se sent aujourd’hui d’une force exceptionnelle, devient souriant et communicatif.

« Avez-vous entendu parler de cet heureux légataire, Vénéering ? demande-t-il d’un air aimable.