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D’autre part, le monde se lève à huit heures, se rase à huit heures et quart, déjeune à neuf heures, se rend dans la Cité vers dix heures, rentre chez soi à cinq heures et demie, dîne à sept heures ; et l’on peut résumer ainsi les notions que M. Podsnap a sur l’art en général.

Littérature : masse d’imprimés décrivant avec respect le lever à huit heures, la barbe à huit et quart, le déjeuner à neuf, la Cité à dix, le retour à cinq et demie, le dîner à sept heures, Peinture et sculpture : portraits et bustes des habiles praticiens du lever à huit heures, de la barbe à huit et quart, du déjeuner à neuf heures, etc. Musique : concert respectable d’instruments à vent et à corde, chantant (sans variation aucune) sur un rythme tranquille, lever à huit, barbe à huit et quart, déjeuner à neuf, Cité à dix, retour à cinq et demie, et dîner à sept heures. Rien autre chose ne doit être permis à ces arts sans aveu, sous peine d’excommunication. Rien autre chose ne doit exister nulle part.

En sa qualité d’homme aussi éminemment respectable, mister Podsnap est obligé, il le sent bien, de prendre la Providence sous sa protection ; d’où il résulte qu’il est toujours à même d’interpréter les décrets providentiels. Des gens d’une respectabilité inférieure pourraient souvent être au-dessous d’une pareille tâche ; mais mister Podsnap est toujours au niveau de cette mission ; et, chose à la fois remarquable et consolante, ce que la Providence a voulu est invariablement ce que veut mister Podsnap.

La réunion de ces principes, qui font école, et sont passés en articles de foi, constitue ce que le chapitre actuel prend la liberté de qualifier de Podsnaperie, du nom de leur plus fidèle représentant.

Confinés dans d’étroites limites (le cerveau de M. Podsnap étant lui-même borné par son col de chemise), ces principes fondamentaux sont proclamés d’un ton pompeux en harmonie avec le craquement des bottes de l’orateur.

Il y a une miss Podsnap, jeune pouliche à bascule, élevée dans l’art maternel de caracoler majestueusement sans jamais avancer ; mais les grandes allures de sa mère ne lui ont pas encore été inculquées. C’est toujours une enfant, ayant les épaules hautes, l’esprit engourdi, les coudes pointus et rouges, et un nez râpé, qui semble de temps en temps faire une échappée hors de l’enfance, mais qui rentre bien vite, effrayé de la coiffure de maman, et de la totalité de papa : écrasé, en un mot, par le poids de la podsnaperie.

Cette jeune miss incarne aux yeux de son père une institution sociale d’une certaine nature, et que mister Podsnap désigne sous