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en tournant autour du pot, parce qu’il y en a toujours un qui va tout droit où il faut qu’on arrive. Nous sommes donc venus vous voir pour vous dire que nous serions contents de faire la connaissance de votre fille, et que nous serions heureux si elle voulait bien regarder notre maison comme la sienne, à l’égal de la vôtre. Bref, nous voudrions consoler cette jeunesse, lui faire avoir part des petits plaisirs que nous pensons nous donner ; enfin, la distraire et l’égayer un peu.

— Oui, dit mistress Boffin de tout son cœur, laissez-nous nous contenter. »

Mistress Wilfer adressa à la brave femme un signe de tête pour la tenir à distance, et répondit de sa voix grave et monotone :

« Pardonnez-moi, monsieur, j’ai plusieurs filles ; laquelle doit être favorisée des bonnes grâces de mister et de mistress Boffin ?

— Tiens ! s’écria celle-ci toujours souriante, c’est miss Bella naturellement.

— Oh ! dit mistress Wilfer d’un ton glacial ; miss Bella est visible, elle peut vous répondre, et le fera elle-même. »

Puis, entr’ouvrant la porte dont le grincement coïncida avec un bruit de pas précipités, qui avaient lieu au dehors, la majestueuse dame fit cette proclamation :

« Envoyez-moi miss Bella. »

Bien que prononcé d’un ton solennel, cet ordre n’en fut pas moins accompagné d’un coup d’œil plein de reproches lancé à miss Bella en personne ; d’autant plus qu’appréhendant la sortie des visiteurs, cette jeune lady faisait de grands efforts pour se fourrer dans le petit cabinet, situé sous l’escalier.

« Les fonctions de mister Wilfer, expliqua la noble dame en venant se rasseoir, le retiennent dans la Cité une grande partie du jour. Il y est actuellement ; sans cela, mon mari aurait l’honneur de participer à la réception qui vous est faite sous son humble toit.

— Une maison très-agréable, dit Boffin d’un air enjoué.

— Pardonnez-moi, répondit mistress Wilfer en corrigeant cette méprise. C’est la demeure d’une pauvreté vivement sentie, bien qu’entièrement indépendante. »

Assez embarrassés du tour que prenait la conversation, mister et mistress Boffin restèrent la bouche ouverte, les yeux fixés dans le vide ; tandis que mistress Wilfer était plongée dans un silence qui donnait à entendre qu’à chaque fois qu’elle respirait, ce phénomène exigeait de sa part une dose d’abnégation dont l’histoire offre rarement l’exemple. Ce silence pathétique fut enfin rompu par l’arrivée de Bella. Après avoir été présentée, la jeune miss