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Mister Milvey sourit de nouveau ; ces rois et ces reines, se dit-il à part lui, désirent toujours des enfants. Peut-être fut-il frappé de cette idée que s’ils étaient à sa place ils pourraient souhaiter le contraire.

« Je pense, reprit-il à haute voix, que nous ferons bien d’appeler mistress Milvey ; elle est de fort bon conseil ; permettez que je la fasse venir. Margaretta ! ma chère !… »

Mistress Milvey descendit aussitôt. Une jolie petite femme, jeune et vive, un peu flétrie par les travaux quotidiens. Elle avait réprimé une foule de goûts élégants, de fantaisies brillantes, et leur avait substitué les écoles, les plats de soupe, les dons de flanelle et de charbon, tous les besoins d’une population nombreuse, y compris les maux de tous les jours et les rhumes des dimanches. Son mari avait réformé non moins bravement tout ce qui découlait de ses études, ou le rattachait à ses anciens condisciples ; et il s’était lancé à corps perdu au milieu des pauvres et de leurs enfants, ramassant avec eux les miettes les plus dures de la vie.

« Mister et mistress Boffin, ma chère, dont vous savez l’heureuse fortune. »

Mistress Milvey salua et félicita les braves gens de la façon la plus gracieuse et la plus naturelle du monde. Elle était enchantée de les voir ; néanmoins sa figure engageante, à la fois ouverte et fine, laissa poindre le sourire qu’avait inspiré à son mari la toilette de la visiteuse.

« Mistress Boffin, ma chère, voudrait adopter un enfant, un petit garçon. — Et comme la jeune femme prit un air alarmé, il ajouta vivement : Un orphelin, ma chère.

— Oh ! fit mistress Milvey, que ce détail rassura au sujet de ses propres bébés.

— Et je pensais, Margarette, que le petit-fils de missis Goody pourrait peut-être convenir.

— Oh ! Franck, je ne pense pas.

— Vraiment ?

— Oh ! non, cher ! »

La souriante mistress Boffin sentit qu’elle devait se mêler à la conversation. Ravie de l’intérêt que l’expressive petite femme prenait à son affaire, elle présenta ses remerciements, et demanda ce que le susdit petit-fils pouvait avoir contre lui.

« Je ne crois pas, répondit mistress Milvey en regardant son mari, et certes, en y réfléchissant, mon cher Franck partagera mon opinion, je ne crois pas qu’on puisse empêcher cet enfant d’être sali par le tabac ; sa grand-mère en consomme une telle quantité, et renverse presque tout sur lui.