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des Bleus-Manteaux ; malheureusement il a perdu la vie dans l’explosion d’une poudrière. »

Suzanne accepta l’offre obligeante de M. Toots, qui la conduisit chez lui. Elle fut reçue par la dame en question, qui justifia pleinement sa réputation, et par Coq-Hardi, qui d’abord supposa, en voyant une dame dans la voiture, que M. Dombey avait été plié en deux d’un bon coup dans l’estomac suivant son ancienne recommandation, et que miss Dombey avait été enlevée. Ce gentleman produisit sur miss Nipper un effet singulier. Comme il avait été vaincu par Larkey Boy, son visage était si meurtri, que décemment il n’était plus présentable en société. Coq-Hardi attribuait cette punition à une faute contre les règles de la boxe ; il s’était trop tôt jeté tête baissée sur son ennemi, ce qui avait donné au Larkey toute facilité pour lui allonger un coup de poing et lui pocher l’œil. Mais, d’après les bruits qui circulaient au sujet de cette lutte sérieuse, on disait que le Larkey avait eu le dessus tout d’abord ; que Coq-Hardi avait été grisé, qu’on lui avait fait boire de l’eau-de-vie, du genièvre, etc., etc., qu’il n’avait pas les jambes bien solides, et qu’après une complication de préparations imprudentes du même genre, il avait eu bientôt son compte.

Après un bon repas offert de bon cœur, Suzanne se rendit au bureau de la diligence dans une autre voiture ; M. Toots était à ses côtés comme auparavant, et Coq-Hardi sur le siège. Quoiqu’il fît un grand honneur à M. Toots et à Suzanne, par le renom que lui avait valu son héroïsme, physiquement parlant, il ne pouvait guère leur servir de décoration par ses emplâtres qui étaient nombreux ; Mais Coq-Hardi s’était juré en secret qu’il ne quitterait M. Toots qu’à une condition. Celui-ci soupirait avec ardeur après une séparation ; mais Coq-Hardi ne voulait pas le lâcher avant d’avoir obtenu qu’il le mît en possession d’un fonds de cabaret, à titre d’indemnité. Dans l’espoir de mieux arriver à ses fins et de s’enivrer à mort le plus tôt possible, il faisait tout ce qu’il pouvait, par esprit de calcul, pour rendre à son patron sa société insupportable.

La diligence qui devait emmener Suzanne allait partir. M. Toots, l’ayant casée dans l’intérieur, la regardait par la portière d’un air indécis jusqu’au moment où le cocher monta sur son siège. Alors, se posant sur le marchepied et introduisant dans l’intérieur une figure qui, à la lumière de la lampe, exprimait le trouble et l’agitation, il s’écria tout à coup :

« Dites donc, Suzanne ! miss Dombey, vous savez…