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ne pourront pas empêcher que je les aie dites, quand bien même elles donneraient toute l’année des congés à partir de dix heures du matin jusqu’à minuit et qu’elles en mourraient de fatigue ; ce qui serait une fête universelle. »

En disant ces mots, miss Nipper passa devant son ennemie pour sortir de la chambre ; elle monta en haut dans sa petite mansarde en se donnant des airs, ce qui ne fit qu’augmenter encore l’exaspération de l’irascible Mme Pipchin ; puis elle s’assit au milieu de ses malles et se mit à pleurer.

La voix de Mme Pipchin en dehors la tira bientôt de son attendrissement ; Mme Pipchin était un remède salutaire contre les attendrissements.

« Cette impudente coquine, dit Mme Pipchin, accepte-t-elle son congé oui ou non ? »

Miss Nipper répondit de l’intérieur que la personne ainsi désignée n’habitait pas cette partie de la maison, mais que son nom était Pipchin et qu’on la trouverait dans la chambre de la femme de charge.

« Infâme drôlesse, s’écria Mme Pipchin en secouant le bouton de la porte, sortez à l’instant, faites vos paquets tout de suite. Comment osez-vous parler de cette manière à une femme qui a vu de meilleurs jours ? »

À quoi miss Nipper répondit de sa forteresse qu’elle déplorait les meilleurs jours qu’avait vus Mme Pipchin ; que, pour sa part, elle regardait comme de mauvais jours dans l’année tous ceux où l’on voyait Mme Pipchin, mais que ces jours-là étaient encore trop bons pour elle.

« Ce n’est pas la peine de faire tant de tapage à ma porte, dit Suzanne, ni de salir le trou de ma serrure en y fourrant votre œil : je fais mes paquets et je décampe, vous pouvez y compter »

La douairière exprima sa vive satisfaction de cette nouvelle, et après avoir redit pour le bouquet ce qu’elle pensait en général des jeunes drôlesses et surtout de leurs défauts quand elles avaient été gâtées par miss Dombey, elle se retira pour aller compter les gages de Nipper. Suzanne s’empressa de mettre ses paquets en ordre, afin de partir aussitôt avec dignité ; mais elle pleurait à chaudes larmes tout le temps en songeant à Florence.

L’objet de ses regrets ne tarda pas à se présenter devant elle, car le bruit avait déjà couru dans toute la maison que Suzanne Nipper avait eu une affaire avec Mme Pipchin ;