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était aussi beaucoup plus pincée qu’à l’ordinaire, et, en rôdant dans la maison, elle avait des mouvements de tête qui indiquaient une grande détermination.

En effet, Suzanne avait pris une détermination, et une détermination audacieuse encore. Il ne s’agissait de rien moins que de se présenter devant M. Dombey et de lui parler, à ce gentleman, de lui parler entre quatre yeux. « J’ai toujours dit que je le ferais, se dit-elle, ce matin-là, d’un air menaçant et en branlant énergiquement la tête, j’ai toujours dit que je le ferais ; eh bien ! à présent, je vais le faire. »

S’encourageant elle-même, avec une vivacité qui n’appartenait qu’à elle, à accomplir ce grand dessein, Suzanne Nipper resta toute une après-dînée dans le vestibule et sur les escaliers, sans trouver le moment favorable pour livrer l’assaut. Elle ne se laissa pas déconcerter le moins du monde par ce contre-temps ; il eut au contraire pour résultat d’exciter davantage son ardeur, loin de relâcher sa vigilance ; enfin, sur le soir, elle s’aperçut que son ennemie jurée, Mme Pipchin, sous le prétexte d’avoir passé la nuit, faisait un somme dans sa chambre, et que M. Dombey était seul étendu sur son sofa.

Suzanne, agitant non-seulement sa tête, mais toute sa petite personne, s’avança sur la pointe du pied jusqu’à la porte de M. Dombey et frappa.

« Entrez, » dit M. Dombey.

Suzanne fit un dernier mouvement pour se donner du cœur et entra.

M. Dombey, qui regardait le feu, ne fut pas peu surpris de l’étrange visite, et se releva légèrement sur son coude. Suzanne lui fit une révérence.

« Que demandez-vous ? dit M. Dombey.

— S’il vous plaît, monsieur, dit Suzanne, je désire vous parler.

— Je désire vous parler ! semblèrent redire après Suzanne les lèvres de M. Dombey qui, abasourdi de l’audace de la servante, n’eut pas la force de les répéter tout haut.

— Il y a aujourd’hui douze ans, monsieur, dit Suzanne avec sa volubilité ordinaire, que je suis à votre service, attachée à la personne de Mlle Florence, ma jeune maîtresse, qui ne parlait pas encore bien quand je suis entrée ici, et quand Mme Richard était encore toute nouvelle, j’étais déjà bien vieille dans la maison, car, bien que je ne sois pas une Mathieu-Salem, je ne suis pas non plus une enfant à la mamelle. »