Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reuse cette nuit, mais vous êtes fatiguée et malheureuse aussi !

— Non, mon ange, je ne le suis pas quand vous reposez si près de moi ! »

Elles s’embrassèrent, et Florence, accablée, tomba peu à peu dans un doux sommeil ; mais, pendant que ses yeux se fermaient devant le visage qu’elle avait à côté de son lit, son esprit, qui se reportait sur l’autre visage qu’elle avait vu en bas, était triste : sa main en se rapprochant d’Edith comme pour y chercher une consolation, tremblait pourtant de crainte de trahir son père par cette caresse.

Dans son sommeil, elle essayait de les réconcilier ensemble, de leur montrer qu’elle les aimait tous les deux, mais elle ne pouvait y parvenir ; la tristesse de la réalité se confondait avec la tristesse de ses rêves.

Edith, assise à côté d’elle, regardait ses longs cils tout mouillés sur ses joues roses ; elle la regardait avec douceur et pitié, car elle savait bien la vérité, elle. Mais le sommeil ne vint pas lui fermer les paupières. Il faisait jour qu’elle était encore sur la chaise tout éveillée, tenant dans ses mains la douce main de Florence. De temps en temps, elle disait tout bas à son visage assoupi :

« Restez près de moi, Florence. Je n’ai plus d’espérance qu’en vous ! »



CHAPITRE VI.

Une séparation.


Miss Nipper se leva avec le jour, mais après le soleil toutefois. Ses yeux noirs, ses yeux si perçants paraissaient fatigués ; eux qu’on n’aurait jamais soupçonnés de se fermer quelquefois tant ils étaient éveillés d’ordinaire, ils avaient perdu tout leur feu, ils étaient tout gonflés, comme s’ils avaient passé la nuit dans les larmes. Pourtant Suzanne était loin d’être abattue ; ce jour-là elle était singulièrement allègre et décidée ; toutes ses facultés semblaient se resserrer en faisceau pour l’accomplissement de quelque grand projet. Elle