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Elle ne regardait plus Florence, et ne s’adressait plus à elle ; elle continuait comme si elle était seule.

« J’ai vu en rêve une telle indifférence, un tel endurcissement produit par ce profond mépris de soi-même : cet orgueil était si vil, si impuissant, si misérable, qu’il a marché avec insouciance à l’autel, obéissant au simple signe que lui faisait un doigt bien connu, trop connu ! Oh ! ma mère, ma mère ! il lui obéissait en le méprisant. Orgueil impie, qui préférait se vouer une bonne fois à sa propre haine, plutôt que de ressentir encore chaque jour la pointe de quelque aiguillon nouveau ! Pauvre créature ! »

Son émotion croissait, son visage s’assombrissait, et elle regarda Florence comme elle l’avait regardée quand elle était entrée.

« Et j’ai rêvé, dit-elle, que, dans un premier et dernier effort que cet orgueil a fait pour venir à bout de son dessein, il a été écrasé, oui écrasé, par un pied abject, mais qu’il se relève et se rit de son vainqueur. J’ai rêvé que cet orgueil était blessé, poursuivi, traqué par une meute de chiens ; mais, bien qu’épuisé par la lutte, il ne veut pas céder ; il le pourrait, mais non : il se sent une force qui le révolte contre le chasseur qui le poursuit : il le hait, il se dresse contre lui, il le brave. »

Son bras étreignit convulsivement le bras tremblant de Florence, et son visage se calma quand ses yeux s’abaissèrent sur la figure alarmée et surprise de la jeune fille.

« Oh ! Florence, dit-elle, j’ai cru cette nuit que j’allais devenir folle ! »

Sa tête superbe fléchit et se pencha sur le cou de Florence : elle pleura encore.

« Ne m’abandonnez pas, restez auprès de moi ! Je n’espère plus qu’en vous ! »

Combien de fois elle répéta ces mots ! Bientôt elle devint plus calme ; elle fut attendrie en voyant les larmes de Florence, en voyant cette pauvre enfant encore debout à une pareille heure. Le jour commençait à poindre. Edith la prit dans ses bras et la conduisit à son lit ; quant à elle, elle ne se coucha pas, elle s’assit près de sa fille et lui dit d’essayer de dormir.

« Ma chère enfant, lui dit-elle, vous êtes fatiguée et malheureuse, vous avez besoin de repos.

— Oh ! oui, maman, je suis bien fatiguée et bien malheu-