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sa chambre et, passant par le salon, où la lune, à moitié cachée par les nuages, laissait pénétrer ses rayons à travers les jalousies, elle regarda dans la rue déserte.

Le vent soufflait tristement. Les lanternes étaient pâles et tremblantes comme si elles avaient froid : il y avait au loin dans le ciel une lueur de demi-ténèbres ou de demi-jour. La nuit expirait frissonnante et agitée comme le moribond qui finit dans la peine. Florence se rappela que déjà, au chevet d’un autre malade, elle avait observé le même temps froid et sombre et reconnut les mêmes impressions ; elles lui faisaient mal aujourd’hui comme alors ; seulement elles étaient plus tristes encore.

Sa mère n’était pas venue dans sa chambre ce soir-là. Aussi, quand la nuit fut avancée, elle sortit de son lit. Elle éprouvait un tel malaise, elle avait surtout un tel désir de parler à quelqu’un et de rompre le charme de cette nuit triste et silencieuse qu’elle dirigea ses pas vers la chambre où reposait Edith.

La porte, qui n’était pas fermée en dedans, s’entr’ouvrit doucement lorsqu’elle la poussa de sa main tremblante. Elle fut surprise de trouver de la lumière ; mais ce qui la surprit encore davantage, ce fut de voir sa mère, à moitié déshabillée, assise devant les cendres de la cheminée. En voyant ses yeux fixes, ardents, cette figure, cette attitude, ce mouvement convulsif qui lui faisait saisir les bras de son fauteuil comme si elle allait s’élancer, Florence, en présence de ce visage bouleversé, éprouva un sentiment de terreur.

« Maman, s’écria-t-elle, qu’y a-t-il ? »

Edith tressaillit : le regard d’effroi qu’elle lui lança la fit trembler encore davantage.

« Maman, dit Florence en s’approchant avec précipitation, chère maman ! qu’avez-vous ?

— J’ai été souffrante, répondit Edith en tremblant et en continuant à la regarder d’un air singulier. J’ai fait de mauvais rêves, mon ange.

— Vous ne vous êtes pas couchée, maman ?

— Non. Je rêvais à moitié éveillée. »

Peu à peu, ses traits prirent une expression plus douce : elle laissa Florence s’approcher d’elle, la serra dans ses bras, et lui dit avec tendresse :

« Mais qu’est-ce que mon petit oiseau vient faire ici ? que vient-il faire ici ?