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Elle écouta avant de sortir : tout reposait dans la maison et les lumières étaient éteintes. Dieu ! qu’il y avait longtemps, se disait-elle, qu’elle avait fait pour la première fois ses pèlerinages nocturnes à la porte de son père ! Dieu ! qu’il y avait longtemps, se disait-elle en frissonnant, qu’elle était entrée une nuit dans sa chambre et qu’il l’avait reconduite au pied de l’escalier !

Avec son même cœur d’enfant, ses doux yeux timides, ses beaux cheveux flottants, aussi étrangère à son père dans sa fraîcheur de jeune fille que dans sa fraîcheur d’enfant, elle descendit doucement les escaliers écoutant à chaque pas, et se glissa du côté de sa chambre. Aucun bruit dans la maison ; la porte était entr’ouverte pour laisser pénétrer l’air, et tout était si calme dans l’intérieur, qu’elle pouvait entendre le pétillement du feu et le tic tac de la pendule placée sur la cheminée.

Elle jeta un coup d’œil dans la chambre. La femme de charge, enveloppée dans une couverture, dormait profondément, assise dans un fauteuil devant le feu. La porte, qui conduisait dans l’autre pièce, cachée en partie par un paravent, était à demi fermée ; mais il y avait de la lumière dans la seconde pièce et la tête du lit était éclairée. Le silence était si profond qu’elle pouvait entendre, au bruit de sa respiration, qu’il était endormi. Cela lui donna le courage de passer derrière le paravent pour le regarder dans sa chambre.

Elle éprouva un aussi grand saisissement en le voyant endormi que si elle ne se fût pas attendue à le voir. Florence s’arrêta immobile à sa place, et s’il se fût éveillé, elle n’aurait pas pu bouger.

Il avait le front fendu, et l’on avait baigné ses cheveux, qui retombaient tout humides et en désordre sur son oreiller. Un de ses bras, sorti du lit, était soigneusement bandé et sa figure était très-pâle. Florence vit tout cela d’un regard et put s’assurer qu’il dormait profondément. Si elle resta clouée à sa place, ce n’était pas ce spectacle seulement qui la troublait. Non, il y avait encore autre chose, quelque chose de plus fort que cela qui lui faisait paraître la personne de son père si imposante.

Elle ne l’avait jamais regardé en face, jamais, sans qu’il y eût toujours sur son visage, du moins elle se l’imaginait, une expression de trouble à son égard. Elle ne l’avait jamais regardé en face, que l’espérance ne se renfonçât dans son cœur,