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humble amie et lui souhaitant bonne nuit, elle l’embrassa. Miss Nipper en fut si touchée qu’elle se mit à sangloter.

« Maintenant, ma chère miss Florence, dit Suzanne, laissez-moi descendre en bas pour avoir des nouvelles de votre papa, je sais que vous en êtes tourmentée, laissez-moi redescendre et frapper moi-même à sa porte.

— Non, dit Florence, allez vous coucher. Nous saurons plus de détails demain matin. J’irai moi-même m’informer de sa santé. Maman est descendue, j’en suis sûre (Florence rougit car elle ne l’espérait pas), peut-être même est-elle près de mon père en ce moment. Bonsoir. »

Suzanne était trop adoucie pour donner, en ce moment, son opinion personnelle sur la probabilité de la visite de Mme Dombey à son mari, et elle se retira sans rien dire. Florence, restée seule, cacha sa tête dans ses mains comme elle l’avait fait bien des fois à une autre époque et donna un libre cours aux larmes qui inondèrent ses joues. Elle pensait au désaccord, au trouble de l’intérieur ; à cette espérance, si toutefois elle en avait eu jamais l’espérance, maintenant déçue à tout jamais, de pouvoir gagner l’affection de son père ; elle songeait à ses doutes, à la crainte qu’ils lui inspiraient tous deux : puis c’étaient les aspirations de son cœur innocent vers l’un et l’autre ; la douleur, le regret de voir se terminer ainsi ce rêve d’espoir et de bonheur qu’elle avait fait ; cruel combat qui jetait le trouble dans son âme ! et ses larmes coulaient abondamment. Sa mère et son frère étaient morts : son père restait toujours aussi froid pour elle : Edith résistait à son mari et le repoussait tout en aimant Florence qui lui rendait tendresse pour tendresse ; n’était-ce pas un sort jeté sur l’affection de la pauvre enfant, qu’elle dût rester toujours stérile, quel qu’en fut l’objet ? Cette pensée, elle la chassait bien vite, mais celles qui l’avaient fait naître étaient trop sérieuses pour être aussi facilement repoussées ; aussi Florence passa-t-elle une nuit bien triste.

Au milieu de toutes ses réflexions, elle se représentait, comme elle l’avait fait tout le jour, son père blessé et souffrant, seul dans sa chambre, sans être secouru par celles qui auraient dû être près de lui, et passant ses lentes heures de douleur dans un abandon douloureux. Tout à coup un frisson parcourut tout son être : S’il allait mourir ! Elle y avait songé quelquefois déjà ; s’il allait mourir sans la voir ou sans prononcer son nom ! Dans son trouble, elle songea, en tremblant pourtant, à descendre une fois encore et à se glisser jusqu’à sa porte.