Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Edith ne retira pas la main, elle ne se servit pas de cette main baisée par Carker pour lui souffleter son indigne visage, et pourtant si vous aviez vu comme ses joues étaient rouges, comme ses yeux étincelaient, comme tout son être se soulevait d’indignation ! Mais quand elle fut seule dans sa chambre, elle frappa, pour la punir, cette main souillée par le baiser de Carker, contre le marbre de la cheminée : l’innocente main fut meurtrie du coup et ensanglantée, puis l’approchant du feu qui brillait dans l’âtre, elle sembla vouloir l’y jeter pour la réduire en cendres.

La nuit était déjà avancée qu’Edith était encore assise toute seule dans sa chambre ; la flamme du foyer, qui s’éteignait peu à peu, éclairait par intervalles son beau visage sombre et menaçant : l’œil de cette femme suivait les noires ombres qui erraient sur la muraille : ses pensées semblaient avoir pris un corps et se promener autour d’elle. Toutes les formes, que peuvent revêtir l’insulte et l’outrage, tous les plus sinistres pressentiments voltigeaient confus, comme de grands fantômes devant elle : une figure odieuse semblait marcher contre elle à leur tête ; c’était celle de son mari.



CHAPITRE V.

Les veilles.


Florence, depuis longtemps revenue de ses illusions, remarquait avec tristesse l’éloignement d’Edith pour son père ; elle le voyait augmenter de plus en plus et se changer peu à peu en une véritable aversion. Ces découvertes journalières jetaient une ombre épaisse sur son amour et sur ses espérances, et ravivait dans son cœur cette douleur qui, assoupie un moment, n’en devenait maintenant que plus insupportable.

C’était bien dur… (qui pouvait le savoir mieux que Florence ?) d’avoir vu se changer en douleur la tendresse si vraie d’un cœur pur ; de ne trouver qu’indifférence et froideur, où elle aurait dû trouver affection et sollicitude. C’était bien dur d’avoir nourri au fond de son cœur des sentiments si ten-