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M. Carker était de belle humeur et parlait beaucoup ; M. Dombey le laissait dire de l’air d’un souverain qui veut bien permettre qu’on l’amuse de temps en temps ; il daignait montrer par un mot ou deux qu’il était à la conversation. Ils se tenaient à cheval chacun à leur manière ; mais M. Dombey, dans sa dignité, le pied à peine posé sur l’étrier, et les rênes flottantes, allait nonchalamment sans regarder par où passait son cheval. Aussi arriva-t-il que le cheval de M. Dombey, lancé au trot, alla donner contre une pierre, démonta son cavalier, tomba par-dessus lui, et dans ses efforts pour se relever, lui lança de bons coups de pied.

M. Carker, en habile cavalier, qui avait l’œil prompt et la main sûre, sauta à bas de son cheval, et, en un instant, remit la bête sur ses pieds et la tint par la bride. Sans cela cette matinée de confidence eût été la dernière de M. Dombey. Toutefois même, au milieu de ce petit événement et dans le feu de l’action, en se penchant sur son chef étendu par terre, il n’en montra pas moins toutes ses dents à découvert et murmura :

« Voilà une belle occasion pour Mme Dombey de m’en vouloir, par exemple. Heureusement qu’elle n’en sait rien ! »

M. Dombey, privé de sentiment, la tête et la figure ensanglantées, fut porté, sous la surveillance de M. Carker, par quelques cantonniers au cabaret le plus voisin : il y en avait un à une petite distance. Là, le blessé fut l’objet des soins que lui prodiguèrent plusieurs médecins, arrivés l’un après l’autre de différents côtés comme poussés par cet intérêt qui attire les vautours vers le cadavre d’un chameau dans le désert. On réussit à grand’peine à le faire revenir à lui. Les hommes de l’art examinèrent la nature de ses blessures. L’un d’entre eux, qui demeurait tout près du théâtre de l’accident, penchait beaucoup pour une fracture composée des os de la jambe ; c’était aussi l’opinion du cabaretier, mais deux autres médecins, qui demeuraient loin de là et qui ne s’étaient trouvés dans le voisinage que par hasard, combattirent cette opinion d’une façon si désintéressée qu’il fut décidé que le blessé ne resterait pas au cabaret.

« Sans doute, dirent-ils, les contusions sont graves, mais il n’a qu’une côte brisée, et encore, une petite ; il peut donc, avec des précautions, être ramené chez lui avant la nuit. »

Les blessures furent pansées et bandées, ce qui demanda encore assez de temps. On laissa reposer le malade, et