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faisait le service, toutes ses facultés, toutes les forces vives le son être étaient employées à observer son maître ; à peine osa-t-il prendre le temps de se rappeler que ce grand personnage, à présent, était l’homme à qui il avait été présenté dans son enfance pour servir de certificat de santé à toute la famille, celui à qui il était redevable de sa culotte de peau.

« Oserai-je, dit tout d’un coup Carker, vous demander des nouvelles de Mme Dombey ? »

Il se pencha humblement en faisant cette question, le menton appuyé sur sa main, et, en même temps, ses yeux se levèrent sur le tableau ; il semblait dire au portrait : « Regardez bien comme je vais vous mener ça ! »

M. Dombey répondit en rougissant :

« Mme Dombey se porte fort bien. Vous me rappelez, Carker, que je venais ici dans l’intention d’avoir un entretien avec vous.

— Robin, tu peux nous laisser, » dit son maître.

Le ton doucereux de M. Carker fit tressaillir Robin, qui disparut les yeux fixés sur lui jusqu’au dernier moment.

« Vous ne vous souvenez plus de ce garçon, comme de juste, ajouta-t-il quand son fidèle Rémouleur fut parti.

— Non, dit M. Dombey avec une superbe indifférence.

— Oh ! il n’était guère vraisemblable qu’un homme aussi haut placé que vous pût se rappeler ce détail : ce n’était pas possible, dit tout bas Carker. C’est un des enfants de la femme qui a été nourrice chez vous. Peut-être vous souvenez-vous de vous être chargé généreusement de son éducation ?

— Ah ! c’est ce garçon, dit M. Dombey en fronçant le sourcil. Il n’a pas fait grand honneur à l’éducation qu’on lui a donnée.

— Oh ! dit M. Carker avec un léger mouvement d’épaules, je crains bien que ce ne soit un petit vaurien. Il m’en a tout l’air. Si je l’ai pris à mon service, c’est qu’il était incapable de remplir aucune autre place : il pensait (on lui avait sans doute mis cette idée dans la tête chez lui), il pensait avoir quelque droit à votre intérêt, et cherchait toujours à se trouver sur votre passage pour vous adresser sa pétition. Quoique mes relations officielles avec vous ne soient que des relations d’affaires, cependant j’ai pour tout ce qui vous regarde un si vif intérêt, que… »

Il s’arrêta encore pour voir s’il avait commencé à bien mener ça, et, une seconde fois, le menton toujours appuyé sur la main, il regarda le tableau.