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Aussi était-il là, toujours attentif à ses moindres désirs, cherchant à prévenir ses ordres, absorbé tout entier par cette pensée unique : M. Carker !

Robin ne s’était jamais demandé peut-être (dans la disposition d’esprit où il se trouvait, c’eût été un acte de trop grande témérité), il ne s’était jamais demandé pourquoi il lui obéissait si aveuglément. N’était-ce pas par hasard parce qu’il le regardait comme passé maître dans ces pratiques de fourberie et de ruse qu’on enseignait à l’école des rémouleurs ? Ce qu’il y a de bien certain, c’est que Robin le craignait autant qu’il l’admirait. M. Carker connaissait mieux peut-être la cause de son ascendant, et là façon dont il en usait n’était pas de nature à en diminuer l’effet.

Le soir même où Robin avait quitté le service du capitaine, il avait vendu ses pigeons à vil prix, tant il était pressé d’aller tout droit à la maison de M. Carker. Il s’était présenté tout chaud, tout bouillant devant son nouveau maître avec un visage rayonnant qui semblait s’attendre à une bonne réception.

« Eh bien, mauvais drôle, dit M. Carker en regardant son petit paquet, vous avez donc quitté votre place pour venir ici ?

— Oh ! je vous en prie, monsieur, balbutia Robin, vous savez bien que vous m’avez dit la dernière fois que je suis venu ici.

— J’ai dit ? reprit M. Carker. Qu’ai-je dit, s’il vous plaît ?

— S’il vous plaît, monsieur, vous n’avez rien dit du tout, monsieur, » répondit Robin tout déconcerté, et comprenant au ton de son maître qu’il ferait mieux de se taire.

Son protecteur le regarda avec un sourire qui découvrait toutes ses gencives, et, le menaçant du doigt, il lui dit :

« Vous finirez mal, mon petit drôle, je ne vous dis que ça : vous verrez que vous finirez mal.

— Je vous en prie, monsieur, ne dites pas cela, s’écria Robin tremblant sur ses jambes. Vraiment, monsieur, je ne demande qu’à travailler pour vous, qu’à rester chez vous, monsieur, et à vous servir fidèlement, monsieur.

— Vous ferez bien de m’être fidèle, répondit son protecteur, si vous entrez jamais à mon service.

— Oh çà, je le sais bien, monsieur dit Robin d’un ton soumis. Essayez-moi seulement, monsieur. Que ce soit un effet de votre bonté ! Et si jamais vous vous apercevez que je vous trompe, monsieur, eh bien, là, je vous donne permission de me tuer.