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CHAPITRE IV.

Confidence et accident.


Robin le rémouleur, devenu le domestique de son patron, M. Carker, avait mis de côté son accoutrement noir de marin et son chapeau du sud-ouest. Il portait maintenant une bonne et solide livrée brune, qui, tout en affectant d’être humble et modeste, n’en avait pas moins aussi bon air et aussi bonne tournure qu’il fallait pour faire honneur au tailleur. Ainsi transformé, quant à l’extérieur, Robin le rémouleur ne songeait plus guère au capitaine ni au petit aspirant de marine, sinon dans ses moments perdus pour chanter sa victoire sur ces deux illustres personnages, et se rappeler, au murmure flatteur de sa conscience endurcie, la manière triomphante dont il s’était débarrassé de leur compagnie.

Vivant sous le même toit que M. Carker et attaché à sa personne, Robin tenait toujours avec crainte et tremblement ses gros yeux ronds fixés sur les dents de son maître, et se croyait obligé de les écarquiller tout grands plus que jamais.

Fût-il entré au service d’un magicien célèbre, il n’aurait pu trembler, devant sa merveilleuse baguette, plus qu’il ne tremblait devant les dents de son maître. Le gamin avait une telle idée de la puissance et de l’autorité de M. Carker, que toute son attention se concentrait sur lui et qu’il était à son égard d’une soumission, d’une obéissance aveugles. Même pendant son absence, c’est à peine s’il osait penser à lui, tant il craignait de se voir saisi à la gorge comme le jour où, pour la première fois, il avait subi son pouvoir ; il lui semblait que chacune de ses dents pénétrait au fond de son cœur, pour lui reprocher ses pensées. Quand Robin se trouvait face à face avec M. Carker, il était aussi sûr que son maître lisait ses plus secrètes pensées, ou qu’il pouvait les lire par l’effet de sa simple volonté si cela lui convenait, qu’il était sûr de son existence. L’ascendant qu’il éprouvait était si complet et le tenait dans un tel esclavage, que le malheureux garçon n’osait penser à rien, sinon à l’autorité irrésistible de M. Carker sur lui et au pouvoir qu’il avait de faire de lui tout ce qu’il voudrait.