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Elle voit rarement Florence, et, quand elle la voit, elle devient maussade et boudeuse. Edith, toujours à ses côtés, éloigne Florence, qui, le soir dans son lit, tremble à la pensée de la mort sous cette forme hideuse ; souvent elle s’éveille pour écouter si elle n’est pas encore venue. Personne ne prend soin de la mourante si ce n’est Edith. Elle aime mieux ne pas se montrer à d’autres dans cet état, et que sa fille veille seule à ses côtés.

L’ombre s’est épaissie sur son visage, ses traits se sont encore amaigris, et devant ses yeux s’abaisse un sombre voile, un voile funèbre qui lui dérobe le monde. Ses mains tremblantes, qui se cherchent sur la couverture, se joignent avec peine ; elles s’agitent convulsivement du côté de sa fille, et une voix, qui ne ressemble déjà plus à la sienne, qui ne parle déjà plus un langage humain, dit ces mots : « Car enfin c’est moi qui vous ai nourrie ! »

Edith, l’œil sec, s’agenouille pour que sa réponse arrive plus sûrement à l’oreille de la mourante :

« Mère, pouvez-vous m’entendre ? »

Ses yeux égarés semblent dire oui.

« Vous souvenez-vous de la nuit qui a précédé mon mariage ? »

Pas un mouvement : mais sur ce visage immobile, Edith peut lire une réponse affirmative.

« Je vous ai dit alors que je vous pardonnais la part que vous y aviez prise, et que je priais Dieu de me pardonner aussi la mienne. Je vous ai dit que le passé était oublié ! Je vous le répète encore ; embrassez-moi, ma mère. »

Edith touche les lèvres pâles de sa mère, et pendant un moment un profond silence règne dans la chambre. Puis la mère, avec son rire de jeune fille et son squelette à la Cléopatre, se dresse sur son lit.

Fermez les rideaux roses, il y a dans l’air quelque chose à présent de plus que le vent et les nuages. Fermez bien les rideaux roses !

La nouvelle de l’événement est envoyée à M. Dombey à Londres ; il va trouver le cousin Feenix qui n’est pas encore en état de partir pour Bade et qui vient aussi de recevoir la nouvelle. C’est une bonne pâte d’homme que le cousin Feenix ; c’est bien l’homme qu’il faut pour les mariages comme pour les funérailles, et sa position dans la famille fait qu’on le consulte dans toutes les circonstances importantes.