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Edith, par pitié, se penche vers elle et lui parle. La vieille la serre dans ses bras et lui dit avec horreur :

« Edith, nous retournerons bientôt à la maison. Croyez-vous que je retourne bientôt à la maison ?

— Oui, mère, oui.

— Et ce qu’il a dit ce… comment l’appelez-vous ? je ne me rappelle jamais les noms… ce… major. Ce mot terrible qu’il a prononcé, Edith, ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ? Edith ! ce n’est pas de moi qu’il a voulu parler ? » Et elle pousse un cri perçant, les yeux hagards.

Les nuits se succèdent, la lumière brille toujours à la croisée, et le corps est toujours étendu sur le lit. Edith est toujours assise à ses côtés, et les vagues, qui murmurent sans cesse, leur parlent à toutes deux pendant la nuit tout entière.

Les nuits se succèdent, et les vagues s’enrouent à force de répéter toujours leurs mystères sans fin ; le sable s’amoncelle sur le rivage, les oiseaux s’élèvent dans les airs et planent sur les eaux, les vents et les nuages suivent leurs courses errantes, les voiles blanches, à la douteuse clarté de la lune, ressemblent toujours dans l’espace au bras fatal qui montre au loin le but de l’homme, le pays invisible.

Et la pauvre vieille femme regarde toujours dans le coin de la chambre le bras de pierre qu’elle croit voir se dresser pour la frapper : « C’est, dit-elle, un bras détaché d’une statue funéraire. » À la fin, le bras tombe, et sur le lit on voit étendue une vieille femme sans voix, aux traits crispés, aux membres ratatinés. La moitié de son corps n’est déjà plus qu’un cadavre.

Telle est la femme qui se farde et se plâtre pour aller au grand jour se moquer du soleil et faire illusion aux gens, lentement promenée chaque soir, dans sa chaise roulante, au travers de la foule. Elle cherche à voir l’autre vieille qui a été si bonne mère ; et, ne la voyant pas, elle pousse des cris sauvages. Telle est la femme que l’on roule souvent jusque sur le bord de la mer, et qu’on laisse reposer là : pour quoi faire ? On sait bien que l’air qu’on y respire ne viendra pas rafraîchir ses poumons, pas plus que l’océan ne lui murmurera de douces paroles à l’oreille. Elle reste là, pourtant, à écouter des heures entières, mais les vagues n’ont pour elle qu’un langage lugubre et mélancolique ; la terreur est dans ses traits, et, quand ses yeux errent sur l’immensité des eaux, ils ne voient, entre le ciel et la terre, qu’une vaste et triste solitude.